UN TEMPS SANS ELLE

LYDIE GABRIEL

BAS VENITIEN

JanvierIl dormait, du sommeil doux de l'homme en paix, une main abandonnée sur le torse, les cheveux en fouillis.Il semblait être encore un enfant. Il était un enfant.21 janvier - 7 h 00Le réveil me hurle dans les oreilles. C'est insupportable. Je pourrais le fracasser contre le mur. Impossible. Je ne peux pas. Je ne dois pas. Je suis civilisé. Je tente une extraction de dessous la couette. Pas envie, il fait froid. Sur les vitres, le gel a pailleté le verre. Allez, encore cinq minutes.Dans la salle de bain, Julie barbote bruyamment sous la douche. Aujourd'hui elle part pour trois jours, je n'étais pas vraiment d'accord, mais je n'ai rien dit. Ma Julie. C'est la dernière fois, elle ne le sait pas encore, mais c'est la dernière fois. Dans six semaines elle chargera, sur une poussette, un baluchon de chair et de couches-culottes.Elle interrompt mes pensées, mon bel hippopotame est enfin prêt. Sa petite valise à roulettes pleine à craquer est en attente sur le paillasson. De la voir partir, j'ai un pincement dans les tripes. Je me ramollis, me délite, elle m'affadit la bougresse. Elle et son bidon tout rond.Elle est sortie en coup de vent, son haleine tiède sur ma nuque, comme un souffle. Un effleurement. Elle colorie ses lèvres d'un rose tirant sur le mauve. J'aime ses baisers si légers, jamais ils ne laissent de traces, ils brûlent juste ma peau, la fine couche d'épiderme entre mes cheveux et le col de mon pull. J'aime ses baisers que je fais semblant d'ignorer. Un jour, je le lui dirai.Elle est partie, dans un sourire, dans un éclat de voix. Gaie, enjouée, à peine réveillée, déjà trépidante. Elle m'use dès le matin, elle se lève comme le soleil. En entier. Elle n'est jamais à moitié comateuse, son papotage matinal et unilatéral berce mon amorphe éveil.Elle va rentrer d'un séminaire, dans trois jours, fatiguée de parler, exiger, parfaire et organiser. Crevée, mais aimante. Elle se posera légère sur le canapé, comme un papillon sur une brindille. Prête à s'envoler encore vers la salle de bain dans un déhanchement mutin. Puis elle finira par s'endormir, après mille babillages que je n'écouterai pas, en posant sa tête brune sur mon épaule... Je l'aime. Lui ai-je dit ce matin? Lui ai-je jamais dit d'ailleurs?Merde, son écharpe! J'entends son pas de gazelle qui résonne dans l'escalier. Le bandeau de soie est posé sur la poignée de la porte. Elle descend vite, trop vite, le marteau de ses talons frappe les dernières marches, son ventre rond devrait pourtant la freiner. Je cours, à poil, vers la fenêtre, déjà la porte du hall d'entrée s'ouvre en grinçant.Elle sort, éclat de couleur sur le trottoir, elle trotte, se retourne, me voit à la fenêtre, l'étole brandie comme un étendard. Elle me sourit, son nez instantanément rosi par le vent vif. Elle lève ses deux bras et je lâche le voile de tissu fin. Je ris à pleine gorge de la voir reculer en essayant d'attraper la capricieuse écharpe. Son ventre est presque gracieux vu de là-haut... Elle pirouette, descend du trottoir.

12,26 €
Hors stock
EAN
9782919516124
Image non contractuelle