L'oeuvre comme exercice spirituel. L'imaginaire stoïcien des artistes

Long Olivier

HERMANN

Extrait de l'avant-proposL'oeuvre comme exercice spirituel, l'imaginaire philosophique des peintresLa peinture des siècles qui nous ont précédés a parfois constitué le support d'exercices éthiques dont nous n'avons même plus idée. Modifier sa manière de vivre, tel est l'enjeu de cette peinture qui s'est voulue l'équivalent des exercices spirituels qui étaient ceux des philosophes de l'antiquité. Pour se transformer, certains artistes ont recouru à des pratiques d'ascèse très anciennes, ou plutôt, c'est l'idée qu'ils se sont fait de ces pratiques d'ascèse qui a contaminé la peinture par des pratiques d'exercices philosophiques. Cet imaginaire a lentement forgé notre conception moderne de l'art, à savoir l'invention de l'oeuvre comme exercice spirituel.Dans l'antiquité, les exercices spirituels de philosophes sont des pratiques mentales, des actes de l'intellect ou de l'imagination qui modifient par exercice le point de vue qu'on a sur le monde. Toutefois, cette modification du regard n'aurait pas d'intérêt sans l'authentique transformation de soi qui l'accompagne. En modifiant sa vision du monde, on se transfigure. Les pratiques d'exercices spirituels des philosophes de l'antiquité sont bien connues, la question d'une transformation du regard des artistes se pose moins. Pourtant, oeuvrer c'est former dans le but de transformer. Dans la transformation d'un matériau, c'est parfois soi que l'on rêve de modifier. Former implique alors de se réformer; dès lors, arts plastiques et autoplastie communiquent.Ce livre raconte une ambition folle: le rêve d'une transformation de soi par l'oeuvre élevée au rang d'exercice spirituel.Nicolas Poussin et Paul Cézanne sont les deux peintres emblématiques qui ont fait de leur travail un véritable exercice spirituel en peinture. D'autres les ont suivis: Ingres, Delacroix, Corot, Millet, Couture, Degas, Bonnard, Morandi... Toutefois la spiritualité de Poussin ou de Cézanne ne se laisse paradoxalement pas décrire dans les termes d'une sacralité religieuse ou d'un spiritualisme quelconque, leur ascèse est post-religieuse. En marge et souvent en rupture avec les oeuvres de l'ascèse chrétienne, quand la pratique de la peinture se fait le vecteur d'une transformation de soi, l'autonomie revendiquée par ces artistes puise directement son modèle dans l'autarcie des sages antiques.La tonalité nettement stoïcienne de l'ascèse de Cézanne ou de Poussin fait la spécificité d'une modernité française qui est encore nôtre. Dans l'antiquité les stoïciens ont une définition intellectualiste de l'exercice philosophique. Selon Pierre Hadot, c'est Philon d'Alexandrie qui définit le plus précisément ce qu'est l'ascèse stoïcienne quand il la décrit en ces termes: «Toutes les activités de l'ascèse (askèseôs) sont données en nourriture: la recherche (zetesis), l'examen approfondi (skepsis), la lecture, l'audition, l'attention (prosochè), la maîtrise de soi (enkrateia), la parfaite indifférence aux biens indifférents». C'est ici la définition canonique de l'ascèse stoïcienne. Le stoïcisme comme exercice philosophique et comme ascèse comprend la recherche (l'étude), l'examen approfondi, la lecture, l'audition, l'attention, la maîtrise de soi et l'indifférence aux choses indifférentes. C'est cette configuration sémantique, cette galaxie de significations et d'activités, qui définira plus tard l'imaginaire stoïcien des peintres.

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EAN
9782705683474
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