La cérémonie du café

Krebs Franck

THIERRY MAGNIER







Extrait



Il y a des mères qui ne devraient pas être permises. Leur amour détériore tout ce qui passe à portée de leur coeur. Leur tendresse ressemble à des fringales de vampires. Elles empoisonnent, déchiquettent, dévorent. Jusqu'à ce que l'avenir de leur enfant n'existe plus.
Je dois préciser tout de suite que je ne parle pas pour moi. Moi, je n'ai pas de mère.
Leila, ma soeur, fait des recherches pour trouver celle qui nous a donné le jour et abandonnées. J'avais un an. Leila neuf.
Très vite, ma soeur a endossé la tenue d'orpheline, une robe de chagrin qui l'exclut de la joie. Dur comme fer, elle est convaincue que l'abandon maternel l'a mise à part. Tout s'explique par là. C'est pourquoi elle a tant envie de mettre un visage sur le vide.
Parfois, ma frangine pleure en affirmant qu'elle a besoin de savoir, qu'ignorer ce qu'est devenue celle qui nous a conçues est insupportable. Que sa mère ait pu, un matin, se lever, rassembler quelques affaires, se faufiler jusqu'à l'entrée et claquer la porte sur ses deux filles la dépasse. C'est plus qu'un mystère, c'est un crime contre notre humanité.
Je pense qu'on lui a fiché ces idées dans le crâne. Tout le monde prétend que si on part dans l'existence sans connaître ses origines, on débute avec un handicap sévère. On est, en quelque sorte, promis à la catastrophe. Comme s'il vous manquait le diplôme essentiel pour vivre. Après, vous avez toutes les chances de finir délinquant, drogué ou SDF.
Moi, ça me ferait plutôt marrer.
Je m'appelle Sabbah et je vis en banlieue. Avec ma frangine, nous partageons un appartement dans une barre HLM. Nous avons réussi à rester toutes les deux grâce à Mme Kriech, l'assistante sociale.
Ma soeur travaille comme secrétaire. Ce boulot lui a fourni l'argent nécessaire pour être chef de famille. Le juge a déclaré qu'elle était apte à se charger de moi. Visiblement, certaines responsabilités dépendent du salaire.
Leila m'achète des affaires pour s'assurer que je ne retournerai pas chez notre père. Il nous en a tellement fait voir que, franchement, c'est inutile. Mais je ne dis rien. On ne sait jamais, elle pourrait réduire les cadeaux.
Avant, nous logions à Victor-Hugo, une cité à l'autre extrémité d'Aulnay-sous-Bois, mais depuis que Mme Kriech et le juge nous ont accordé le divorce d'avec notre père, nous bénéficions d'un T2 à Emmaüs et je possède ma propre chambre.



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EAN
9782364744523
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