La danse de Nietzsche

Commengé Béatrice

VERDIER

Que toujours la mer sournoise ou la montagne impitoyable environnent celui qui cherche. Nietzsche, Notes, 1880.Sur la Riviera du Levant, a-t-on jamais vu automne plus triste et plus humide que cet automne 1882? Où s'en est allée la lumière? L'air est glacé comme la pluie. Depuis des semaines, Nietzsche attend le soleil. Le 23 novembre, il a quitté Gênes pour s'installer à Rapallo, un peu plus bas, entre Portofino et Zoagli. A l'Albergo délia Posta, il a trouvé une chambre avec une cheminée et une vue sur la mer. Le feu qu'on lui allume tous les soirs lui donne l'illusion d'un peu de chaleur. De son lit, il entend les vagues dans la nuit. Une nuit sans étoiles et sans lune. Seul, il rêve des hauts plateaux du Mexique - de leur lumière et de leur climat, qui lui rendraient une santé qu'il a perdue. Tout le jour, il a marché avec l'espoir de mieux dormir, mais le sommeil ne vient pas. Alors il verse dans un verre quelques gouttes de chloral hydraté et, doucement, sombre dans l'inconscience.Au matin, le ciel n'est pas plus lumineux que la veille. C'est à désespérer. Pourtant, derrière l'auberge s'élève le Monte Allegro - le mont Joyeux -, dans lequel il voit un bon présage. Ne venait-il pas de trouver, l'année dernière à Gênes, le secret de la «Gaya Scienza», la connaissance joyeuse, le Gai Savoir? Il n'a rien oublié. Malgré le froid, il sort. Il avance malgré le silence qui se fait lourd comme la mort. Envers et contre tout, il a choisi de vivre. D'être «solide sur ses jambes». Son bâton de marcheur à la main, il emprunte dans la bruine le sentier qui mène à Zoagli. A l'horizon, les nuages s'accumulent; aucun espoir d'éclaircie. Et pourtant il marche. Le chemin domine la mer. Il avance en regardant ses pieds pour éviter les flaques. Pas la moindre couleur pour égayer sa marche. La nature, comme lui, attend le soleil pour fleurir. Les pins parasols, plantés sur la colline, découpent des formes noires dans le ciel et les oliviers sont gris comme la pluie. Il est seul sur le sentier et marche d'un pas rapide malgré la boue qui rend le sol glissant par endroits. Le mouvement est une délivrance et il se laisse entraîner par son rythme. Les migraines de la nuit ont cessé et il avance, comme soulagé d'un poids. En bas, la mer est agitée: pas une barque de pêcheur, pas une voile rouge à l'horizon. Tout se confond dans la grisaille, les arbres n'ont plus de noms. Pins, lauriers, araucarias sont du même noir verdâtre. Pourtant, la pluie a cessé et la marche devient plus facile. Le corps semble de plus en plus heureux à mesure qu'il se réchauffe. Les pensées, jusque-là engourdies, se réveillent en même temps que les muscles.

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EAN
9782864327202
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