En direct d'Israël. Chroniques intimes d'un pays

Bisraor Ayache Katy

IN PRESS

ISRAMoshé et Mohamed dans un kayakComme le kayak rouge était trop petit pour contenir la grande famille de Mohamed, le petit garçon est monté avec sa maman dans le kayak bleu de Moshé. Pendant une heure de navigation sur le Jourdain, Moshé et Mohamed ont ri aux éclats, éclaboussés par le flot des torrents. La maman de Moshé, avec son foulard blanc, et la maman de Mohamed, avec son foulard bleu noué autour du visage comme le portent les musulmanes, souriaient en entendant les éclats de rire de leurs bambins, mais elles ne pipaient mot. En descendant du bateau, les deux mamans ont dit, presque ensemble, «Hag Saméah», «bonne fête». La fête de Pessah pour l'une, la fête du vendredi pour l'autre.En Haute-Galilée, à quelques kilomètres de la frontière entre Israël et le Liban, après la descente du Jourdain, les familles juives et arabes allument des barbecues sur les pelouses du kibboutz de Kfar Blum et dressent des tables généreuses: salades colorées, houmous, viande grillée, café noir et thé à la menthe - à quelques mètres les uns des autres, sans se parler, ni même se regarder. Sous un arbre, deux musulmans installent un tapis pour prier Allah. Sur la pelouse, une dizaine d'hommes juifs commencent la prière de Minha.La paix des familles dans cette région du monde déchirée par un conflit millénaire semble à première vue illusoire. On a l'impression que la moindre étincelle - la réflexion mal comprise d'un enfant, un regard déplacé - suffirait pour faire exploser la sérénité d'un après-midi de vacances. A moins que ce quotidien des peuples - cette coexistence silencieuse dans une ignorance voulue et acceptée qui caractérise les relations entre Juifs et Arabes en Israël - ne soit un modèle de paix, certes peu ambitieux mais du moins réaliste?Yossef-Amsalou: le conteurYossef-Amsalou est noir comme l'ébène et ridé comme l'écorce d'un arbre centenaire. Il a le regard brillant d'un lutteur qui a suivi sa voie malgré les tracasseries et les vexations. Sa famille l'appelle Amsalou. Quand on lui demande son nom, il répond «Yossef-Amsalou» - ce nouveau patronyme, qui lui a été suggéré par un fonctionnaire de l'Agence juive, fait désormais sa fierté.Yossef-Amsalou est un Falachmoura. Il est arrivé à Ashkelon au début de l'année 2011, à quatre-vingt-dix ans révolus, avec sa kyrielle de petits-enfants et d'arrière-petits-enfants. Le centre d'intégration y accueille quelques centaines d'immigrants, des Russes et des Falachmouras, quelques immeubles, une grande pelouse, un restaurant cantine et des bureaux face à la mer et à la marina. Assis sur les marches à l'extérieur de sa petite chambre, Yossef-Amsalou raconte son passé, des grelots dans la voix et le sourire aux lèvres.Depuis que le gouvernement a cédé aux exhortations des instances rabbiniques, les derniers Falachmouras - six à sept mille personnes regroupées dans le camp de Campara, dans le Gondar éthiopien - ont pu s'installer en Israël. Ils ont l'espoir comme seul bagage. Le gouvernement leur fournit le gîte et finance leurs dépenses quotidiennes pendant des mois, voire des années. La majorité des cent vingt mille Juifs éthiopiens qui vivent aujourd'hui dans l'État hébreu sont des Béta Israël, fidèles à leur judaïsme depuis des millénaires. Les Falachmouras quant à eux, qui sont environ trente mille, se sont convertis jadis au christianisme, mais sans oublier leurs origines juives.Yossef-Amsalou est ce qu'on appelle une «nature». Si les immigrés éthiopiens sont généralement du genre taiseux, lui aime parler. Il peut raconter pendant des heures les histoires de son peuple, traverser le temps, mélanger les anecdotes sans craindre de se montrer approximatif et contradictoire. Yossef-Amsalou est né dans un village de Falachmouras du Gondar, près du lac Tana, la mer intérieure de l'Éthiopie. Il est né sous une bonne étoile car son grand-père était l'ami du Kess, le prêtre, le Cohen de la communauté juive. Pour un Falachmoura, nouer des liens d'amitié avec une famille de Béta Israël était un atout.(...)

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EAN
9782848352510
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