SCHREBER THEOLOGIEN. L'INGERENCE DIVINE II

ALLOUCH JEAN

EPEL

Question de registresDieu n'a pas encore fait son exit.JACQUES LACANPeut-être même les infortunes personnelles que j'ai dû endurer, et la perte de béatitude que j'ai subie à ce jour, pourront-elles trouver une compensation, si, à l'occasion de mon cas, la connaissance des vérités religieuses s'ouvrait à l'humanité d'un seul coup, dans une mesure incomparablement plus ample qu'il n'en eût été pour des siècles - ou pour jamais - par voie de la seule recherche scientifique [...].DANIEL PAUL SCHREBERCette seconde épigraphe dit très exactement mon projet en relisant, aujourd'hui et après tant d'autres, les Mémoires de Daniel Paul Schreber. Dieu y est reconnu mal en point, ce qui l'amène à intervenir auprès des humains vivants, là où, pourtant, il n'a en principe et en pratique rien à faire. Cela s'appelle «ingérence divine» (göttliche Einwirkung), le français rendant Einwirkung également par «influence» ou «action». Ce que l'on appelle ses infortunes personnelles, annonce ici Schreber, est porteur d'un savoir inaccessible par voie scientifique. Il décrit ces infortunes, il ne les rapporte d'ailleurs pas seulement dans ses Mémoires, en souhaitant qu'un jour, qu'il juge probable, on puisse accueillir ce savoir au titre d'«une source importante de connaissances pour l'édification d'un système religieux tout à fait neuf» (p. 158, note 80) - ce qui fut dit d'emblée et répété à la fin des Mémoires, plusieurs fois aussi, tout au long des chapitres. Schreber ne s'engagera pas pour autant dans l'entreprise qui aurait consisté à fonder une nouvelle religion, il n'est pas prosélyte, il laisse largement libre son lecteur.Soit. Il ne reste donc plus qu'à ne pas user de cette liberté autrement qu'en jouant le jeu qu'il propose. N'est-ce pas le moins que l'on puisse attendre de l'analyse? Il va donc s'agir de mettre comme à nu ce savoir en l'extrayant de l'ouvrage foisonnant qu'il a écrit des années durant et qui, par sa complexité, reste d'un accès aussi ardu que, par exemple, la Critique de la raison pure - que je ne mentionne pas ici tout à fait par hasard, on le verra.Jacques Lacan invitait à en passer par ses signifiants, faute de quoi l'on ne saurait, affirmait-il, avoir accès à son dire. À une importante réserve près, cela est largement aussi vrai avec Daniel Paul Schreber, et d'autant plus inévitable que ses signifiants apparaissent plus «infamilliers» (Freud). Sans ici mettre en liste les nombreux noms propres auxquels on a affaire en le lisant, voici celle de quelques-uns des termes qu'il prend soin, chacun, de définir: malice (que l'on pourrait aussi rendre par «manipulation» ou «machination»), rayon, meurtre d'âme (déjà chez Luther), force d'attraction, hommes bâclés à la six quatre deux (la traduction est quelque peu dépréciative: «hommes fabriqués/produits fugitivement»), parler des nerfs, contrefaçon de la pensée, éviration, système de louvoiement, ordre de l'univers, petits hommes, temps sacré, perturbation, dérèglement, fractionnement d'âme, loi de renouvellement des rayons, fixation, arrimage, système de prise de notes, passer pour, rayon traceur, petits diables, machine à corseter la tête, conception des âmes, texture nerveuse de la volupté, mouvements tournants, oiseaux miraculeux, etc. Ces définitions signalent qu'il s'agit de concepts, non de signifiants au sens de Lacan, c'est-à-dire d'une matérialité qui, comme telle, opère hors sens.

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EAN
9782354270575
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