De taille et d'estoc. La jeunesse de Guilhem d'Ussel

Aillon Jean d'

PRESSES CITE

1187, Marseille, quatre jours après Pâques

Ce n'était qu'une bruine, mais elle n'avait pas cessé de toute la cérémonie, à l'église Saint-Martin, et, à cause du chemin détrempé, la charrette portant le corps de sa mère avait mis un temps considérable pour atteindre le cimetière des pauvres, qu'on appelait les Champs-Élysées, et plus généralement le Paradis. Il se tenait hors de l'enceinte fortifiée, près de ce hameau nommé La Calade parce qu'il se trouvait sur une butte.
La pluie venait de cesser. Les rares ouvriers de la tannerie venus à la mise en terre étaient partis et Antoine restait seul. Les moines qui l'avaient accompagné étaient eux aussi retournés à Saint-Victor quand ils avaient vu que le jeune convers ne faisait pas mine de s'en aller.
Antoine voulait rester seul avec son passé et ses larmes.
Les deux fossoyeurs mettaient à présent deux autres dépouilles dans la fosse. Pour ceux-là, personne n'était venu. Pas de famille, pas d'amis.
Devant le jeune garçon, la fosse s'étendait sur deux cannes, à moitié remplie de corps. Pour ceux du dessus, on distinguait quelques pans de linceul détrempés, à peine couverts de terre. Sous les yeux d'Antoine, les parois de la fosse se désagrégeaient pour s'écouler ensuite en une épaisse boue. On pourrait bien y mettre encore une dizaine de cadavres, se dit-il avec indifférence. Plus, peut-être, s'il s'agissait d'enfants ou d'enfançons.
Plus profond, dans cette fosse ou dans une autre, reposaient son père, sa soeur et son frère. Et maintenant, sa mère dont il ne quittait pas du regard le suaire. Il essaya de retrouver les traits de leurs visages. Il y parvint pour son père et sa soeur, mais il avait oublié ceux de son petit frère.
Il finirait comme eux. Malade, épuisé, puis jeté dans ce trou ou dans un autre. Peut-être aurait-il la chance de trouver la même mort que son père, au combat contre les Sarrasins, les armes à la main.

Cela s'était produit trois ans plus tôt. C'était au début de l'été. Le souvenir ne l'avait jamais quitté. A la tannerie, son père déchargeait un chariot de peaux sanguinolentes qu'il précipitait, les unes après les autres, dans une grande cuve de bois contenant de l'eau et de la chaux. Sa mère se trouvait au ruisseau qui traversait l'esplanade des corroyeurs. Il était avec elle, avec sa soeur et son petit frère. Tous quatre emplissaient d'eau des seaux de cuir pour les cuves où trempaient les peaux.
Soudain, les cloches de l'église Saint-Martin, toute proche, s'étaient mises à carillonner, puis le son des trompes avait retenti, provenant du sommet du Tholoneum, l'ancien palais vicomtal servant aux réunions des consuls.
Dans les tanneries, tout le monde savait ce que cela signifiait. Les infidèles étaient revenus 1 La dernière attaque des Sarrasins datait de l'automne précédent.
(...)

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9782258100398
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