Entre nos lignes. Lettre à Hank

Ageorges-Skinner Sandrine

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Les années et le temps, l'absence et l'attente, les mots et toujours les mots sur le papier pour s'enlacer et pour s'aimer, bien étrange destinée que la nôtre. Après avoir été privée de toi, de nous, pendant presque deux ans, sans un échange de regards et sans même un mot sur une feuille pour avancer ensemble, oui, cette souffrance est une tranche de vie commune, mais pourtant une tranche de vie volée, raturée qui reste suspendue dans le temps. Il paraît que le temps sert à apprendre, à découvrir, à comprendre et à accepter. Pour toi, ces dix-huit dernières années de paralysie totale dans un espace de deux mètres par trois sont plus que suspendues dans le temps puisque cette épreuve t'a fauché en plein vol. Pourtant, c'est bien grâce à elle que nous avons pu enfin nous retrouver. Traditionnellement, les histoires ont un début et une fin, du «Il était une fois» à «Ils se marièrent et ils eurent beaucoup d'enfants». Pour nous, aucun de ces repères n'a jamais existé. Une histoire sans début ni fin, plutôt une aventure éternellement recommencée avec la vie comme un serpentin qui chemine et qui en croise un autre ponctuellement, ou alors qui fusionne bien au-delà d'un début et d'une fin. J'imagine que tu te souviens de notre premier échange de lettres, il y a maintenant seize ans. Moi, je m'en souviens comme si c'était hier. Avec le recul, je me dis que si l'on m'avait annoncé qu'un jour je rencontrerais mon double et qu'il se trouverait à huit mille kilomètres de chez moi, au fond d'une cellule au Bushmenistan, et condamné à mort de surcroît, je ne l'aurais pas cru et j'aurais bien ri. Pourtant, aujourd'hui, nous sommes là, ensemble et à des années-lumière l'un de l'autre, dans une géographie improbable et variable. Le labyrinthe de nos deux dernières années m'a donné envie de revisiter pour toi, et avec toi, ce que nous avons appris l'un de l'autre et tout ce qu'il nous reste à apprendre.
S'il n'existe pas de chronologie des sentiments, il y a bien une chronique des événements. Ceux qui nous ont rapprochés et qui nous ont ouvert les yeux sur la vie, la mort et l'amour. Nous avons entamé un chemin irréversible, car jamais nous ne pourrons fermer les yeux sur ce que nous avons découvert ensemble. Je ne sais plus qui a écrit que «ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort», mais j'en doute sérieusement. Ce qui ne nous a pas tués nous a profondément meurtris, usés et fragilisés. C'est sans doute cette vulnérabilité qui nous a forcés à nous inventer des boucliers pour que les plaies, qui ne se refermeront jamais, au moins ne s'infectent pas. Nous avons appris à vivre avec des douleurs silencieuses, des questions sans réponses, dans une relation d'amour singulière, toujours forte, parfois tumultueuse, mais bien vivante; comme une obligation de se réinventer quotidiennement au-delà du contexte et loin de cet enfer.


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EAN
9782234073241
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