La parole manipulée

Breton Philippe

LA DECOUVERTE

Ne vous êtes-vous jamais posé la question : suis-je objectif et impartial dans mes propos ? En général, l'homme d'action se projette plus volontiers dans ses réalisations qu'il ne prend le temps de la réflexion sur le sens de son projet. Si le livre de Philippe Breton avait une vertu, ce serait celle de nous faire marquer un temps d'arrêt pour nous poser cette question fondamentale.

Son essai nous propose un bel exercice d'analyse critique, soutenu par des exemples historiques concrets et parfois douloureux. Un essai sur l'objectivité et l'honnête. La démocratie suppose que la parole du citoyen et du consommateur soit libre, et puisse jouer également son rôle de protection de la liberté. Mais Philippe Breton nous donne tant et tant d'exemples qui démontrent que chacun d'entre nous peut avoir tendance à manipuler cette parole pour faire avancer son propos. Cet ouvrage, écrit dans une langue de grande qualité, y échappe-t-il lui-même, comme d'ailleurs son modeste commentaire ?

L'auto-réflexivité du sujet, est au coeur même du propos, et nous place en fait au centre d'une problématique double d'identité et de liberté. Si je dis ce que je veux être et si je le fais, je suis contraint à ce paradoxe de la manipulation de la parole et donc à la fois à empiéter sur la liberté d'autrui et, par contre coup, sur la mienne. Mais, ne rien dire est-il préférable ? L'invention de la parole, qui distingue l'homme des autres animaux, qui structure la pensée et l'action, qui engendre l'alphabet et l'écriture, la prière comme la science, est sans doute un des moments fondamentaux de l'humanité.

Faut-il se taire ? Faut-il tout dire ? La critique systématique ou le cynisme sont-ils de meilleures positions ? L'objectivité non-manipulatrice n'existe pas, les épistémologues nous l'ont largement démontré. Si tout le monde parle en même temps pour dire une chose et son contraire, seule la confusion règne. Puis-je parler de moi sans me manipuler ? L'objectivité de mon miroir n'existe pas car, outre le fait qu'il retourne mon image et ne me montre qu'une de mes faces, il m'amène à ne regarder que ce que je choisis et qui m'intéresse.

L'homme d'action doit donc quitter le souci de l'objectivité. Et, en paraphrasant le célèbre astrophysicien Hubert Reeves, "je préfère qu'il y ait de la musique plutôt que du bruit'. Faisons de la parole une musique avec un sens, une organisation, un but et assumons-le. Comme la musique, la parole est un langage, un ensemble structuré et symbolique. Des textes sacrés ne nous disent-ils pas"le verbe s'est fait chair', signifiant par-là que le logos est en définitif l'élément essentiel de l'action, y compris l'action divine ?

Pour ceux qui, par scrupule, souhaitent échapper à ce paradoxe, il existe une solution dégradée qui tend à laisser croire que l'objectivité n'est que le résultat d'une approche multi-subjective circonstanciée dont l'appréciation peut varier avec le temps et le moment. Les concepts de bien et de mal sont relatifs, ce qui importe c'est l'éthique, c'est-à-dire la position, les choix de l'homme vis-à-vis de son engagement et sa responsabilité.

En définitive, Philippe Breton nous propose un essai métaphysique où la parole est à la fois l'objet et l'outil de la projection de nos fantasmes, valeurs, visions et projets, c'est-à-dire de nos angoisses et de nos rêves. En somme, la parole est humaine. Gardons quelques lueurs d'espoir dans cette perspective, gardons la poésie et les belles échappées romanesques et pourquoi ne pas y rajouter les lettres d'amour, celles que l'on reçoit, et celles que l'on envoie. Heureusement, l'affectif échappe, comme les émotions, aux règles de l'objectivité.


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EAN
9782707144195
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