Maisons d'artistes

Extrait

Un jardin impressionniste «Je suis dans le ravissement, Giverny est un pays splendide pour moi» écrit Claude Monet à Duret en mai 1883. Lassé de «l'affreux Poissy», comme il le qualifie, l'artiste vient de s'installer dans le petit village de l'Eure situé à quelque 70 km de Paris. Impatient de trouver de nouveaux sujets, il l'a choisi avec son oeil de peintre. La Seine est toute proche, la campagne est verdoyante, les vergers sont en fleurs... et la maison dans un jardin. Elle est assez vaste pour l'accueillir avec ses deux enfants et madame Hoschédé suivie de ses six enfants. Claude est veuf, Alice s'est séparée d'un mari ruiné qui la délaissait. Ils forment ce qu'on appelle de nos jours une famille recomposée. Mais une famille à court d'argent. Monet est encore en marge du succès et sa dernière exposition personnelle a été boudée. Fort heureusement, son marchand et mécène, Paul Durand-Ruel, le défenseur des impressionnistes, le soutient et lui accorde régulièrement son aide financière. Couleurs claires et meubles peints Claude et Alice - qui se marieront en 1892 -, s'attaquent rapidement à la rénovation de la demeure. Le crépi rose de la longue façade est rehaussé et les volets gris sont repeints en vert vif, tout comme les portes et la rambarde du balcon construit le long du rez-de-chaussée. Les granges, jouxtant la maison aux deux extrémités, sont transformées d'un côté en cuisine, de l'autre en atelier, au-dessus duquel Monet installe sa chambre. Si les couleurs de l'extérieur sont audacieuses pour la région, évoquant celles du Sud et de Bordighera où Monet est allé peindre, ces dernières n'ont pas fini de nous surprendre sitôt le seuil de la maison franchi. Car le couple fait preuve d'un goût très peu bourgeois pour son époque. Délaissant les papiers peints imprimés et les lourdes tentures qui calfeutrent la lumière, ils choisissent des peintures claires et unies pour les murs. Mises au point par l'artiste lui-même avec un peintre en bâtiment local, comme le raconte Claire Joyces, elles exaltent le style simple et campagnard de la demeure et renforcent la luminosité des pièces dont les fenêtres s'ouvrent sur le jardin, la grande passion de Monet. Dès l'entrée aux murs vert pâle, c'est une féerie de couleurs. Au bleu ciel soutenu de la cuisine, où se mitonnent d'excellents plats sur le grand fourneau surmonté de carreaux bleus de Rouen, succède le jaune citron de la salle à manger qui a vu passer nombre d'amis : Mallarmé, Rodin, Gustave Geffroy, les Guitry, Octave Mirbeau, les Kuroki pour ne citer qu'eux. Comme un défi lancé contre les jours de ciel morne, le jaune embrase tout, y compris les meubles et les boiseries dont les rechampis et moulures sont soulignés d'un jaune plus soutenu. Le choix de deux nuances, claire et foncée, est repris dans le décor du petit salon bleu servant de bibliothèque. À l'étage, dans la chambre de Monet aux murs tendus de toile damassée beige, le lit, les chevets et l'armoire sont peints en jaune. Dans celle d'Alice, séparée des chambres des enfants par le petit escalier central, le vert pâle des murs s'accorde avec le bleu. Dans chaque pièce, la couleur crée une ambiance différente et métamorphose une partie du mobilier.