TOUTE VIE FINIT DANS LA NUIT

VIGEE C

PAROLE SILENCE







Extrait

Descendant dans la nuit, nous montons vers le jour... Elle était là près de nous, avec lui, avec nous. Elle servait le café, les gâteaux, dressait l'oreille à notre échange. À son écoute tendue, je compris, cet après-midi-là, qu'un petit miracle avait lieu et passait à travers nos paroles. Une semaine auparavant, Claude m'avait écrit suite à la lecture de mon livre Besoin de poème, une lettre qui donne raison d'écrire. Je sentis à travers ses mots que le vieux poète avait entendu le plus jeune, avait entendu sa tentative de lier le poème à la prose dont il est issu, à la vie dont il est né, au souffle d'où il est propulsé. Je l'appelai et nous convînmes d'un rendez-vous où, ainsi que deux raconteurs d'histoires, nous discuterions de notre commun besoin de poème, à bâtons rompus, et au-dessus d'un magnétophone de seconde classe. Il nous restituerait l'échange tant bien que mal. Il faudrait à l'écouteur une oreille bien creusée. Elle est là parmi nous qui sert le café et accom­pagne, d'une oreille, elle aussi bien creusée, les deux heures que nous passons au chevet de la petite boîte noire. Quand la cassette défile aujourd'hui, j'entends parfois la voix d'Evy, la femme de Claude, traverser nos phrases. Si je parle d'elle, c'est parce qu'elle n'est plus ici. C'est, parce qu'au moment de cet échange, elle s'était déjà préparée, mais sur la pointe des pieds, à l'autre monde dont, son compagnon et moi, parlons depuis longtemps. Cet autre monde que nos poèmes tentent d'apprivoiser, mais sans jamais l'exclure de ce monde-ci. Avant de commencer l'entretien nous ignorions, l'un et l'autre, qu'un livre en sortirait. Nous ne savions pas que nous traverserions autant d'états, de souvenirs, de pays, de langues, autant de pères, d'amis, autant de sentiments, de livres. J'ignorais que de mon livre, naîtrait un autre livre, que l'Alsace croiserait la Bretagne; Job, Ibn Arabi ; que mes maîtres rencontreraient les siens; que Jean Malrieu, Guillevic, Grall dialogueraient avec Saint-John Perse, Albert Camus et André Gide. Je ne le savais pas, mais je le pressentais. Nous avons parlé sans filet. Nous avons rallongé les deux heures par courrier. Nous avons bien sûr travaillé, à l'écrit, la langue orale, surtout moi. J'ai ainsi découvert une autre énergie pour dire au plus près l'impact du poème sur la vie et de la vie sur le poème. Nous avons vécu la chance de ce livre. J'ai vécu la chance de ses livres. Toute vie finit dans la nuit, bien sûr, mais en inventant sa propre lumière. Elle éclaire aujourd'hui, ne serait-ce que par moments, nos heures et nos journées. Nous avons achevé notre livre juste avant le départ d'Evy, comme si, par sa présence au moment de notre conversation et avant de refermer la porte, la femme de Claude avait laissé la fenêtre ouverte. Car, descendant dans la nuit, elle monte vers le jour... Yvon Le Men



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EAN
9782845735781
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