TERRE DE MOUSSON

SUDHAM/PIRA

OLIZANE

Mars 1954

En l'an du Cheval, Boonliang Surin donna naissance à son sixième enfant. C'était un garçon. Après la naissance de ce fils, les pluies de mousson commencèrent à redonner vie au village de Napo. L'été était passé et la saison des pluies avait débuté. Les pluies s'abattaient jour et nuit, torrentielles, fécondes et pleines de promesses. Comme la plupart des villageois, les Surin regardaient d'un oeil rempli de joie et d'espoir les champs de riz alentour, qui étaient maintenant inondés et prêts à être travaillés. Une nouvelle saison des semailles arrivait. Ils s'apprêtaient à planter le riz.
La naissance du bébé était associée à cette bonne saison. Ses parents le nommèrent donc Prem, ce qui signifie joie.
Quand il fut temps, Kum Surin alla à la maison du chef du village et, s'étant assis humblement sur le plancher, dit:
- Je viens d'avoir un autre enfant que nous avons appelé Prem.
Majestueusement étendu sur le sol, le chef, à demi-nu - c'était un jour de grande chaleur - toussa spasmodiquement. Le temps sembla soudain immobile, alors qu'il réajustait son pagne. On ne pouvait lire sur son visage ridé si cette irruption au milieu de sa sieste l'indisposait, mais à ce moment, il s'assit en tailleur et cracha dans le crachoir près de lui. Pour se donner une contenance, il passa plusieurs fois ses doigts noueux et tremblants sur son visage et dans ses cheveux gris.
Le chef représentait le monde des maîtres, il inspirait crainte et respect.
- L'autre jour ma femme... Kum hésita, craignant de prendre la parole à un moment inopportun.
Il se contint et décida de se taire jusqu'à ce que le vieil homme daigne l'écouter.
- Apporte un plateau avec du tabac ainsi que ma chemise! lança le vieux chef.
Cet ordre, donné d'une voix impérieuse, fit tressaillir le visiteur. On remua dans la maison, et le bois grinça.
- Vous avez vraiment de la chance d'avoir un autre fils, dit le chef.
Le père du nouveau-né perçut comme une nuance de déception dans la voix du vieil homme. Celui-ci désirait un fils; il n'avait que des filles, et maintenant sa femme n'était plus en âge d'avoir des enfants. Aussi Kum avait-il soigneusement choisi les termes de son annonce. Il avait intentionnellement utilisé le mot «enfant» pour éviter de rappeler son infortune à cet homme influent. Ne pas avoir de fils pour perpétuer le nom de la famille était considéré comme le châtiment d'une mauvaise action passée. Kum, qui n'était qu'un pauvre paysan de Napo, craignait alors de se placer au-dessus de celui qu'on avait élu chef.
Après avoir attisé les braises du foyer à la cuisine, l'épouse du chef secoua les cendres de ses vêtements. Alors, ce dernier revêtit gravement sa chemise noire, qui sentait le vieux et la poussière. Changeant de position, il saisit l'énorme registre qui avait été son oreiller. L'épais volume dégageait une odeur de vieux. Son poids et ses dimensions faisaient trembler ses mains desséchées. Le vieil homme, avec délicatesse, commença alors à tourner les pages, une à une. Dans un grand recueillement, il pencha sa tête sur le livre, pour mieux voir. «Ah! ma vue baisse!» murmura-t-il.


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EAN
9782880864156
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