Ce que signifiait Laurent Terzieff

Siméon Jean-Pierre

SOLITAIRES INT

Nous sommes au tout début, vois-tu.Comme avant toute chose.Avec Mille et un rêves derrière nous et sans acte.Ce sont là des vers de Rilke, ceux qui ouvrent Notes sur la mélodie des choses, cet opuscule vif comme un diamant - je songe ici au diamant du vitrier qui découpe la transparence sans la briser - qu'il écrivit à 23 ans et qui déjà porte le destin de son oeuvre entière. Si je cite ces vers du commencement à l'heure de ta mort, Laurent, c'est d'abord parce qu'ils disent exactement ce que tu fus toujours, jusqu'au dernier temps de ta vie, un homme du début, celui qui n'avait de cesse de se défaire des liens de son passé, un qui ne considérait jamais que le geste à venir. «La poésie sera en avant», proclamait l'impératif Rimbaud. C'était ainsi en effet, toi, fils du poème, tu fus toujours en avant. Je ne t'ai connu que durant la dernière décennie de ton existence et je n'ai connu qu'un homme jeune. Toujours en projet. Comme avant toute chose et sans acte.Toute existence est un palimpseste: ce que l'on fait s'écrit sur ce que l'on a fait, certes, mais il importe justement, pour que ce que l'on fait soit simplement lisible et se prouve, affranchi des vieilles preuves, que ce que l'on a fait ne soit qu'un support invisible. Tu étais le scrupuleux contraire de tous ces Messieurs-qui-ont-fait qui à chaque nouvelle action se commémorent. Tu oeuvrais avec détermination à n'être pas le monument qu'on voulait que tu sois quand tant d'autres, à 30 ans, se font déjà la statue du Commandeur. Tu voulais n'être jamais qu'un enfant agile qui découvre. Un homme déshabillé de soi-même, défait de tout ce qui pèse et entrave pour que ton pas soit ce qu'en art un pas toujours devrait être, un pas qui ouvre, le début d'un chemin à soi-même imprévu. Un nouveau chemin de soi, qui sorte de soi. Or cette sortie de soi est seule ce qui autorise d'être avec l'autre, première condition d'une présence à l'autre. «On est ce qu'on fait», répétais-tu à l'envi et cela signifiait, au-delà de ce qu'on entend comme un vieux précepte existentialiste, un souverain mépris des ornements de l'être, ce qu'on a fait et été donc, le statut et la statue, le nom, la gloire, la posture, la légende de soi. Plus que l'humilité dont on te faisait à juste titre crédit: la volonté tenace d'un désencombrement de l'être qui est le vrai garant de la probité artistique, le fondement d'une éthique et d'un destin artistique. Cette nudité et cette intensité du faire au présent, ou pour le dire autrement ce présent absolu du faire, c'est le sens et la justification du théâtre.

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EAN
9782846813433
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