La meilleure des vies
Extrait du prologue
Il vaut certainement la peine de vivre une vie qui n'a pas été étudiée. Vaut-il la peine d'étudier une vie qui n'a pas été vécue? La question semble étrange si l'on ne voit pas à quel point la vie de l'esprit est prise par les vies que nous ne vivons pas, dont nous avons manqué l'occasion, des vies que nous pourrions mener mais que, pour une raison ou une autre, nous ne menons pas. Les objets de nos fantasmes, ce après quoi on se languit, ce sont les expériences, les choses et les gens absents. C'est l'absence de ce dont nous avons besoin qui nous fait penser, nous rend furieux ou tristes. Il faut être conscient de ce qui manque à nos vies - même si cela est capable d'assombrir ce que l'on a déjà ou qui est à disposition - parce que l'on ne peut guère survivre que si nos envies travaillent pour nous. En vérité, il nous faut survivre à nos envies en faisant en sorte qu'autour de nous les gens coopèrent avec notre désir. Nous forçons le monde à être là pour nous. Et cependant les enfants que nous avons été ont vite remarqué - c'est peut-être même la première chose que nous avons remarquée - que leurs besoins, comme leurs souhaits, étaient toujours potentiellement insatisfaits. Du fait que la possibilité de ne pas obtenir ce que nous désirons nous suit comme notre ombre, nous apprenons, au mieux, à rendre nos souhaits ironiques - c'est-à-dire à donner le nom de souhaits à nos désirs: un souhait n'est qu'un souhait jusqu'à ce que, comme on dit, il se réalise -, et, au pire, à haïr nos besoins. Mais nous apprenons aussi à vivre entre la vie que nous avons et celle que nous aimerions avoir. Ce livre parle de certaines des versions de ces doubles vies que nous ne pouvons nous empêcher d'avoir.
Il y aura toujours la vie que nous avons menée, et la vie qui a accompagné la vie que nous avons menée, la vie parallèle ou les vies parallèles qui n'ont jamais réellement eu lieu, que nous avons vécues en imagination, nos vies souhaitées: les risques que nous n'avons pas pris, les occasions que nous avons évitées, qu'on ne nous a pas fournies. Nous nous référons à elles comme à nos vies non vécues parce que nous croyons, au fond, qu'elles s'offraient bien à nous, mais que, pour telle ou telle raison - que nous pouvons passer notre vie vécue à essayer de cerner -, elles avaient quelque chose d'impossible. Ce qu'elles avaient d'impossible ne devient alors que trop facilement l'histoire de nos vies. En vérité, nos vies vécues pourraient servir de deuil étiré ou de rage sans fin à celles que nous avons été incapables de vivre. Mais les exemptions que nous endurons, qu'elles soient subies ou choisies, nous font ce que nous sommes. Aujourd'hui on est à même de connaître toutes les sortes de vies que l'on peut vivre, et la prospérité permet à plus de gens que jamais auparavant de penser à leurs vies en terme de choix ou d'options - nous sommes habités par le mythe de l'avenir prometteur, de ce qu'il y aurait en nous que nous pourrions être ou faire. Aussi, lorsque nous ne pensons pas, comme le dit un personnage du poème de Randall Jarrell, que ce sont «les manières de manquer nos vies [qui] sont la vie», éprouvons-nous du chagrin, du regret ou du ressentiment devant notre échec à être ce que nous imaginions que nous pouvions être. Nous partageons nos vies avec les gens que nous avons échoué à être.
| EAN | 9782823600773 |
|---|---|
| Titre | La meilleure des vies |
| ISBN | 2823600779 |
| Auteur | Phillips Adam ; Gribinski Michel Léopold |
| Editeur | OLIVIER |
| Largeur | 129mm |
| Poids | 236gr |
| Date de parution | 11/04/2013 |
| Nombre de pages | 211 |
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