Notre Père / Récits

Parmentier Elisabeth, Collectif , Gossin Richard,

OLIVETAN







Extrait

Extrait de l'introduction D'une même voix Amélie et Victor s'aimaient d'amour tendre. Si je vous dis que c'est en priant le Notre Père que leur amour s'était tissé, vous ne me croirez pas. Si je précise que c'est en priant le Notre Père, qu'ils avaient pour la première fois étouffé à grand peine un fou rire communicatif vous ne me croirez plus ! Et si je conclus que c'est grâce à cette prière qu'ils se marièrent... Et pourtant... voici leur histoire. Amélie était catholique et Victor protestant. A cette époque-là, c'est-à-dire au début des années 60, les jeunes protestants et catholiques d'Aix-en-Provence fréquentaient leurs paroisses respectives et se retrouvaient le dimanche pour une grimpée sur la Sainte-Victoire ou pour une plongée dans l'Étang de Berre. Du lundi au samedi matin, chacune et chacun regagnaient le lycée, les garçons au Mignet et les filles au Paul Cézanne. Le samedi soir, le pasteur et le prêtre les réunissaient autour d'un film de Buñuel ou de Dreyer. Les jeunes discutaient ensuite... C'était comme ça à l'époque; un mistral oecuménique soufflait sur la Provence. Le mistral ou l'Esprit-Saint ou les deux ? Pasteur et prêtre les encouragèrent même à déserter leurs assemblées ! Chiche ! dirent-ils. Et si de temps en temps on allait ensemble à une messe ou à un culte ? C'est ainsi qu'Amélie et Victor se retrouvèrent avec les autres sur le même banc, assis côte à côte par un hasard malicieux. C'est là qu'ils furent terrassés par un même fou rire. Impossible de dire les trois premiers mots du Notre Père sans trébucher sur une dissonance. L'une vouvoyait le Père et l'autre le tutoyait. L'une appelait le curé «père» et l'autre son pasteur Francis. Amélie nommait le compagnon de sa mère Bertrand et Victor le mari de sa mère «père». Impossible de dire la suite du Notre Père sans trébucher sur un obstacle. En vous livrant leurs deux versions, je vous laisse imaginer les accrocs... De plus, le final de la prière protestante manquait dans la traduction catholique. Au culte, Amélie restait à quai quand le train de la prière poursuivait sa route en apothéose vers un «Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire aux siècles des siècles. Amen», tandis qu'à la messe Victor freinait en catastrophe quand les autres mettaient un point final après un sobre «Ainsi soit-il». Du fou rire, on passa vite au faux rire, je veux dire à la moquerie. Un samedi soir, les lycéens renoncèrent à visionner un Bergman pour en parler avec leur pasteur et leur prêtre. Ils comparèrent les deux versions et se livrèrent à un débat mémorable.



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EAN
9782354791797
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