La main qui pense. Pour une architecture sensible
Extrait de l'introduction
Existence incarnée et pensée sensorielle
En résumé, ce que je suggère, c'est que la psychologie de l'homme adulte est un processus en spirale, qui oscille, émerge et se déploie, marqué par la subordination progressive des anciens systèmes de comportements, d'ordre inférieur, aux nouveaux systèmes, d'ordre supérieur, à mesure que les problèmes existentiels de l'homme évoluent.
Clare W. Graves
La société de consommation occidentale conserve une vision dualiste du corps humain. D'un côté, le corps érotisé et esthétisé est l'objet d'un culte omniprésent; de l'autre, l'intelligence et la créativité sont célébrées l'une et l'autre comme des qualités individuelles tout à fait distinctes, sinon incompatibles. Dans les deux cas, le corps et l'esprit sont conçus comme des entités séparées, comme en témoigne la stricte distinction entre activités manuelles et activités intellectuelles. Le corps est considéré comme le support de l'identité, de l'image de soi, mais aussi comme un instrument de séduction, sociale et sexuelle. Sa fonction est cependant réduite à sa dimension physique et physiologique. Que le corps soit au fondement de l'existence et de la connaissance incarnée, comme de la compréhension de la condition humaine est une idée qui ne retient guère l'attention.
Dans l'histoire de la philosophie occidentale, la séparation du corps et de l'esprit possède une solide tradition, et pour développer les capacités mentales, intellectuelles et émotionnelles, la plupart des pédagogies et des pratiques éducatives continuent d'ignorer les multiples expériences sensorielles du corps humain. Les pratiques éducatives réservent généralement une place à l'exercice physique, mais elles ne reconnaissent pas la nature fondamentalement incarnée et holistique de l'être humain. Le sport et la danse, par exemple, s'adressent évidemment au corps, et l'enseignement artistique et musical s'appuie sur l'expérience des sens, mais l'existence incarnée de l'être humain est rarement identifiée comme le fondement de son rapport au monde et de sa conscience de soi. Les jeunes gens qui se destinent aux métiers manuels apprennent à se servir de leurs mains, mais sans que soit reconnu le rôle fondamental de la main dans l'évolution et dans les différentes manifestations de l'intelligence humaine. Pour le dire simplement, les modèles éducatifs dominants ne tiennent pas compte de la nature indéterminée, dynamique et sensorielle de l'existence de la pensée et de l'action humaine.
Il est raisonnable de supposer que, bien avant l'avènement de la société de consommation d'aujourd'hui, industrielle, mécanisée et matérialiste, les situations de la vie quotidienne, ainsi que les formes d'apprentissage, en contact direct avec le monde naturel et sa complexité, représentaient des expériences éducatives beaucoup plus riches. Autrefois, la connaissance intime des procédés de fabrication, des matériaux, du climat et des phénomènes instables de la nature passait par une expérience sensorielle des phénomènes physiques. Je suis également tenté de penser que la vie sociale et familiale, qui était plus riche, ainsi que la compagnie des animaux domestiques contribuaient à l'éveil du sentiment d'empathie ou de compassion, beaucoup plus que dans le monde individualiste et atomisé d'aujourd'hui.
J'ai vécu ma petite enfance dans la ferme de mes grands-parents, dans le centre de la Finlande. Plus le temps passe, plus je me rends compte de ce que je dois à ces années vécues à la campagne, à la fin des années 1930 et dans les années 1940. J'en conserve une sensibilité à la dimension incarnée de l'existence et à l'interdépendance fondamentale entre les aspects mentaux et physiques de la vie quotidienne. Aujourd'hui, je pense que même le sens de la beauté et le jugement moral sont profondément enracinés dans nos premières expériences du monde physique. Le sens de la beauté n'est pas une qualité esthétique abstraite, mais résulte d'une compréhension des causalités et des interdépendances incontestables du monde vivant.
| EAN | 9782330012403 |
|---|---|
| Titre | La main qui pense. Pour une architecture sensible |
| Auteur | Pallasmaa Juhani |
| Editeur | ACTES SUD |
| Largeur | 169mm |
| Poids | 350gr |
| Date de parution | 17/05/2013 |
| Nombre de pages | 151 |
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