Cherub Tome 14 : L'ange gardien

Extrait

1. Jour cent

12 MARS 2012
Douze recrues avaient entamé le programme d'entraînement initial en décembre 2011, mais une exceptionnelle série de défections - cinq abandons, une entorse, une fracture du poignet, une pneumonie et une grave crise d'asthme - avait considérablement réduit ce contingent. Au matin du centième jour de l'épreuve, on ne comptait plus qu'une fille et deux garçons en compétition.
Les instructeurs Speaks et Kazakov avaient passé la nuit à jouer aux cartes et à siroter du whisky dans la cabine du chalutier déglingué qui tanguait sur les flots écumants, au large de la côte ouest de l'Écosse.
Les trois élèves n'étaient pas d'humeur à admirer le spectacle sauvage qui s'offrait à leurs yeux, ces îles nimbées d'un brouillard que le soleil, perché dans le ciel bleu, ne parvenait pas à percer. Ils avaient passé la nuit sur le pont balayé par des gerbes d'eau glacée, sans autre équipement qu'un amas de matériel de pêche. Après avoir bâti un abri à l'aide de flotteurs et de cordages, ils avaient glissé bras et jambes dans les mailles d'un filet de manière à ne pas être emportés par une déferlante, puis s'étaient pelotonnés en chien de fusil afin de se réchauffer.
Léon Sharma, dix ans, avait hérité de la place la plus douillette, dos à son frère jumeau Daniel et blotti contre les larges épaules de Fu Ning, une fille âgée de douze ans originaire de Chine. La nuque de cette dernière était criblée de piqûres de moustique, son T-shirt bleu ciel souillé de taches d'herbe, de sang et de terre ocre d'Australie.
Avant le début de l'épreuve, Léon n'aurait jamais pu trouver le sommeil sur le pont d'un bateau chahuté par les vagues de l'Atlantique, mais les instructeurs maintenaient leurs recrues dans un perpétuel état d'épuisement. De cette façon, ils les habituaient à dormir dès que l'occasion se présentait, quelles que soient les conditions de confort.
La souffrance l'avait réveillé avant ses camarades. La veille, lors d'une marche forcée, il avait trébuché et s'était étalé dans un buisson. Une épine s'était glissée sous l'ongle de son pouce droit et l'avait fendu en deux. C'était la plus récente et la plus douloureuse des innombrables blessures - coupures, plaies, ampoules et ecchymoses - dont son corps était constellé.
Son estomac émit un grondement désespéré. Le jour précédent, en raison de sa chute, il n'avait pu rejoindre son objectif dans les délais prévus par son ordre de mission. Pour le punir, Speaks avait jeté son dîner au feu.
Léon se souvint qu'il disposait d'un peu de nourriture à portée de main. Les recrues n'étaient pas autorisées à emporter des vivres, mais il avait vu Ning chiper un paquet de biscuits dans le chariot de l'hôtesse, à bord de l'avion qui les avait ramenés d'Australie, quelques jours plus tôt.
Redoutant qu'une vague n'emporte son sac à dos au cours de la nuit, Ning en avait noué les bretelles autour de ses chevilles. Léon approcha prudemment la main de la poche principale.
C'était une manoeuvre extrêmement risquée : plus âgée que lui, Ning avait pratiqué la boxe au plus haut niveau dans une académie sportive de son pays d'origine. En dépit du vacarme généré par le moteur du chalutier, il lui semblait que chaque dent de la fermeture Éclair produisait un son comparable au claquement d'une arme automatique.
--Ce texte fait référence à l'édition






Broché
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