Au rythme du monde. Un demi-siècle d'articles dans Le Monde

Morin Edgar

PRESSES CHATELE





Extrait



Extrait de l'avant-propos

Je n'ai aucun souvenir des conditions de la publication de mon premier article, consacré à la mythologie des stars, dans Le Monde en août 1960. Mais je me souviens très bien de la demande qui me fut faite au début de l'été 1963. Un événement surprenant était survenu place de la Nation où l'émission de radio «Salut les copains» avait convié les jeunes auditeurs à une grande fête musicale. Soudain, au paroxysme de l'enthousiasme, cette fête était devenue destructrice : grilles des arbres arrachées, voitures renversées, adultes molestés. Jacques Fauvet, rédacteur en chef du Monde cherchait un «sociologue» pour expliquer le phénomène. Or aucun des sociologues «normaux» ne s'était alors intéressé à la jeunesse ni aux médias. C'est Claude Lefort qui donna mon nom à Jacques Fauvet. Je fis un long article qui parut en trois numéros successifs (longtemps, jusque dans les années 1980, je pus rédiger des articles d'une telle longueur) où je fournis l'interprétation que le lecteur trouvera plus loin.
Ce fut le début d'une collaboration intermittente mais ininterrompue où je pus, dans les premières décennies, assouvir l'une de mes deux passions : la première est ce que j'appelle l'anthropologie fondamentale se transformant en recherche d'une méthode de connaissance pertinente, la seconde est le souci de répondre à la surprise de l'événement, de l'interroger, de comprendre ses origines et ses significations. C'est cette seconde passion qui put trouver son expression dans cet article comme dans les articles suivants {Planète et anti-Planète, Mai 68), et qui, même lorsque je me consacrais à d'autres thèmes, me revint comme dans mon article sur le sang contaminé en 1992. En fait, je me suis consacré au socio-diagnostic à chaud dans d'autres textes comme la rumeur d'Orléans, le retour des astrologues, etc. Mais c'est le journal quotidien Le Monde qui me permit de «coller» à l'événement sans attendre le recul, comme en Mai 1968, et où évidemment je prenais des risques intellectuels.
La surprise nous oblige à réviser nos systèmes d'explication qui ne l'avaient pas prévue, de penser à ce qu'elle signifie de nouveau, et éventuellement ce qu'elle annonce pour le futur. La surprise est donc vitalisante pour la pensée.
J'avais l'opportunité, dans ces articles à chaud, d'affronter la complexité des phénomènes et, contrairement aux tendances dominantes en journalisme comme en sociologie, de relier des données séparées dans des compartiments clos, de révéler les ambivalences, les contradictions du phénomène ou de l'événement, afin d'élaborer une compréhension pertinente. C'était là aussi ma façon de lutter contra la pensée réductrice et disjonctive qui hélas demeure plus que jamais hégémonique.
Ces articles concernaient en même temps des phénomènes de civilisation, comme l'irruption d'une classe adolescente, l'avènement d'une nouvelle idéologie préfigurant la philosophie «New Age», et par la suite je me consacrai de plus en plus aux transformations de notre civilisation, inséparables des transformations de notre société, pour en arriver à diagnostiquer une «crise de civilisation», puis à proposer une «politique de civilisation» dans mes articles parus dans Le Monde au cours des années 1980-90.






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EAN
9782845925854
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