ET TOUS MES AMIS SERONT DES INCONNUS

MCMURTRY LARRY

GALLMEISTER

Je crois que je suis tombé amoureux de Sally pendant qu'elle prenait son petit déjeuner, lors de notre premier matin ensemble. A ce moment-là ou un peu plus tôt le matin même, en la regardant s'étirer. J'étais venu à Austin pour tuer le temps et manger mexicain, et je m'étais retrouvé invité à une fête chez un professeur. C'était un élégant petit sociologue anglais, mû par un désir intense pour ses étudiantes - il les surnommait "baiseuses", un terme que je n'avais jamais entendu. À plusieurs reprises au cours de la soirée, il était venu me montrer une fille du doigt et me dire: "Voilà une bonne petite baiseuse pour toi, mon garçon."Plus tard, je crois qu'il m'a fait des avances, mais je me trompe peut-être. Il était très éméché et il s'agissait peut-être simplement d'une démonstration d'amitié alcoolisée. Il s'appelait Godwin Lloyd-Jons. Sally était sa baiseuse depuis plusieurs mois, mais à l'époque je ne l'avais pas compris. J'avais tant bu que rentrer en voiture à Houston ne semblait pas très prudent, aussi avais-je dormi à même le sol dans le salon de Godwin, aux côtés d'autres jeunes ivrognes.Cette nuit-là, Sally et Godwin s'étaient violemment disputés - j'ai le vague souvenir d'avoir entendu des portes claquer. Il l'avait jetée dehors, mais comme elle n'avait pas un sou en poche elle avait erré dans le quartier, laissant le temps à Godwin de tomber ivre mort, puis elle était rentrée, avait pris un drap et un oreiller, et elle avait passé la nuit par terre, à côté de moi. Je ne l'avais même pas vue pendant la fête - elle devait être à l'étage en train de se préparer à la dispute. À mon réveil, elle était tout près de moi et bâillait en s'étirant. Le salon était baigné de soleil mais nous n'étions que deux à être réveillés.- Allons prendre notre petit déjeuner, avais-je dit aussitôt, avant qu'un autre se réveille et l'invite à ma place.De toute ma vie, je n'avais jamais vu une fille au corps longiligne aussi belle. Ma première pensée avait été d'imaginer à quel point il serait merveilleux de me réveiller à ses côtés tous les matins et de la regarder s'étirer. Son visage semblait doux. Elle fut quelque peu surprise par mon invitation et me détailla pendant deux secondes avant d'accepter. Je me levai, tendis la main vers elle en pensant qu'elle me laisserait l'aider à se relever. Elle me regarda encore deux secondes mais ne la prit pas. Elle se leva seule et s'étira encore. Tandis que nous marchions sur le trottoir ombragé, elle m'autorisa enfin à lui tenir la main. Elle me lissa aussi les cheveux, qui étaient extrêmement ébouriffés. Nous éprouvions tous deux une grande timidité, main dans la main, et je me sentais d'autant plus timide que Sally mesurait sept centimètres de plus que moi. Je ne savais qu'une seule chose, j'avais soudain trouvé quelqu'un qui me plaisait et j'en éprouvais un plaisir intense. Elle portait une ample robe bleue.Nous marchâmes jusqu'à Guadalupe Street où nous prîmes un petit déjeuner gargantuesque dans un café minuscule - jambon, oeufs et toasts, et presque la totalité de leur confiture de raisin. Sally ne disait pas grand-chose, alors je parlais sans arrêt. J'essayais de dissimuler, l'espace d'une heure ou deux, le fait que je n'avais déjà plus envie de la quitter. Sur le chemin du retour vers la maison de Godwin, nous devînmes tous deux nerveux. Nous ne savions pas ce que nous allions faire. Je ne savais qu'une chose, j'avais envie d'apprendre à la connaître. Je me tus et nous avançâmes en silence, main dans la main. À un ou deux pâtés de maisons de chez Godwin, nous arrivâmes à l'endroit où j'avais garé ma Chevrolet verte. Nous fîmes une pause pour nous asseoir un moment sur le pare-chocs. Je l'embrassai à deux reprises, mais elle était trop préoccupée par ses propres problèmes pour s'intéresser à nos baisers.

23,70 €
Disponible sur commande
EAN
9782351780626
Image non contractuelle