Le prince
Extrait de l'introduction«II nous fait respirer l'air sec et subtil de Florence et ne peut se retenir d'exposer les questions les plus graves au rythme d'un indomptable allegrissimo, non sans prendre peut-être un malin plaisir d'artiste à oser ce contraste: une pensée soutenue, difficile, dure, dangereuse et un rythme galopant, d'une bonne humeur endiablée.»Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal (1886), I, 28.Qui ne connaît Le Prince? Nombreux sont ceux en tout cas qui, sans nécessairement l'avoir lu, en ont quelque idée. Accéder à ce savoir par ouï-dire est le rare et douteux privilège de certaines oeuvres: celles dont la postérité a défiguré le nom propre de leur auteur d'un isme. De Machiavel, on ne voit le plus souvent que le masque grimaçant du machiavélisme. Or, celui-ci n'est, depuis le XVIe siècle, rien d'autre qu'une invention malveillante de l'antimachiavélisme. C'est d'ailleurs l'auteur de l'Anti-Machiavel, l'avocat et théologien huguenot dont le nom même, Innocent Gentillet, semblait le prédestiner à pourfendre la méchanceté du monde, qui forge en 1576 le néologisme de «machiavélisme». Si bien qu'on apprend à détester Machiavel avant même de savoir ce que «machiavélien» veut dire. Rédigé en 1513, publié de manière posthume en 1532, mis à l'Index de la sainte Inquisition en 1559 jusqu'à l'extrême fin du XIXe siècle, Le Prince n'a cessé depuis lors de hanter la pensée politique européenne. Au point que le retour régulier de son spectre scande pour certains une succession de «moments machiavéliens».Voici pourquoi on ne peut jamais tout à fait lire Le Prince pour la première fois. Car même si on ne l'a jamais ouvert et que l'on prétend poser sur ce texte un oeil neuf, s'interpose nécessairement entre lui et nous l'épaisse couche des lectures accumulées, cette lente sédimentation des interprétations, des trahisons, des appropriations, tout ce fatras d'intelligences et de préjugés qui porte simplement le nom de culture. Prenez Nietzsche: lorsqu'il évoque Machiavel en 1886 dans Par-delà bien et mal, ce n'est pas seulement à une «pensée soutenue, difficile, dure, dangereuse» qu'il se mesure, mais à toute la tradition allemande qui, avant lui, l'a affrontée. Celle de l'Anti-Machiavel de Frédéric II de Prusse (1740), celle de Hegel et de Fichte qui voyaient au contraire dans ce nouvel art politique l'expression du républicanisme, celle de Jacob Burckhardt qui avait décrit dans sa Civilisation de la Renaissance en Italie (1860) «l'État considéré comme une oeuvre d'art». Et c'est par opposition aux pesanteurs de la philosophie en langue allemande que Nietzsche décrivait l'allegrissimo de la joyeuse cavalcade de ce diable de Machiavel.Il faudrait pouvoir le suivre, de ce pas - car tout ici est affaire de rythme. Ne pas alourdir la lecture de précautions inutiles, et se laisser emporter par son allure artiste, faite d'écarts et d'embardées. Inutile pourtant de se voiler la difficulté: le texte de Machiavel est aussi exigeant qu'il est entraînant. Car s'il invite à un vertige de lecture, celui-ci n'est rien d'autre que l'effet de l'indétermination du politique, c'est-à-dire de la déstabilisation de toutes les certitudes idéologiques qu'amarrent les grands systèmes des classifications institutionnelles, au profit d'un art de gouverner qui varie en fonction des incertitudes d'une philosophie de la nécessité. Dès lors peut s'énoncer une hypothèse audacieuse: ce que Le Prince a à dire de plus fondamental et de plus dérangeant sur l'ordre politique est assumé par la manière dont il le dit - une forme de narrativité à la fois déliée et brusquée que révèle d'un coup notre impression de lecture.Nul mieux que Claude Lefort, dans son maître livre Le travail de l'oeuvre Machiavel (1972), n'a décrit cette impression de lecture dans son étrange duplicité: «À la fois celle d'un discours rigoureux, dont le mouvement nous porte du début à la fin, sans que nous puissions résister à l'éloquence de la démonstration, et celle, s'accusant au fur et à mesure que nous avançons dans l'examen du texte et lui prêtons attention, d'une pensée divagante, qui perce soudain à l'occasion d'un détour, se rétracte ou s'arrête au moment où elle paraît s'élancer librement dans la direction qu'elle s'était fixée et revient nombre de fois sur son tracé, pour le modifier, voire en inverser le cours.»
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EAN
9782365833295
Caractéristiques
| EAN | 9782365833295 |
|---|---|
| Titre | Le prince |
| Auteur | Machiavel Nicolas ; Risset Jacqueline ; Boucheron |
| Editeur | NOUVEAU MONDE |
| Largeur | 256mm |
| Poids | 1618gr |
| Date de parution | 25/10/2012 |
| Nombre de pages | 223 |
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