LOVE HOTEL

Montalbetti Christine

POL

Pour l'instant, tout semble encore arrêté, ces arbres nus, comme stupéfaits, les cerisiers maigres qui dessinent leurs sigles en bordure des quais, leurs rameaux glabres où cloquent à peine quelques bourgeons minuscules, concentrés, en lesquels il faut avoir beaucoup de foi pour croire en l'éclosion prochaine.Je démêle mal, au vrai, les raisons qui me portent à aimer ce paysage presque abîmé, à cet endroit, de la rivière. L'âpreté des berges, ce petit air à l'abandon qu'elles ont, qu'est-ce donc qui m'y retient, et ces arbres statufiés, interloqués dans l'hiver, devant lesquels je passe et qui inscrivent leurs tracés abstraits pour la dernière fois avant que les fleurs ne viennent brouiller tout ça, aux lignes noires des branches accoler leur fouillis magnifique, s'agglutiner là jusqu'à ce que leurs pétales se mettent à voleter comme paillettes roses aux vents de printemps.Il paraît que lorsque ces mêmes branches sont alourdies de fleurs les habitants de Kyoto viennent ici étendre des draps sur lesquels ils s'installent pour pique-niquer. Les bords de la Kamogawa ont une tout autre allure alors: la végétation et les gens s'en emparent, et les lignes pures s'estompent au profit du doux désordre des scènes vivantes.Mais, pour l'heure, c'est surtout le cours mité de la rivière qu'on aperçoit, ces butées de sable, ces langues de graviers, ces atterrissements que le courant amasse, son lit en est plein, auquel s'agrafent aussi des dalles à la découpe industrielle, dont le pointillé permet de traverser là où le fond est si bas qu'on pourrait passer à gué.Tout le paysage est fait de limon, de béton et d'eau, avec ce grand ciel au-dessus, laiteux sous ce vague soleil de mars.Savez-vous l'effet de ces ciels blafards (on pourrait dire exsangues, comme si leurs sucs s'étaient retirés)? Celui-ci court dans les lointains vers la montagne, et tout ce qu'elle contient de confus, ours, singes, scolopendres, sans parler des esprits qui peuvent bien la hanter. L'eau qui le reflète est en lambeaux, la rivière file comme une guenille.

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EAN
9782818017852
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