Le baiser du tueur. Une enquête de Victor Carl

Dimanche

Ils vinrent me trouver en pleine nuit, comme cela se passe généralement dans ces cas-là. Ils cognèrent si fort que les murs tremblèrent. Deux types portant cravate et imperméable. Je pouvais les voir par le judas. Ils ne portaient pas le feutre à l'ancienne, mais peu s'en fallait.
- Il est tard, criai-je sans ouvrir ma porte. Et je n'ai besoin d'aucune revue.
- Nous cherchons Victor Cari.
- Qui le cherche?
Le plus petit se pencha en avant et loucha sur le judas. Puis il recula et plongea la main dans sa veste. La plaque scintilla comme une rangée de dents fraîchement taillées en pointe.
- Je suis nu, dis-je.
- Alors enfliez quelque chose, répliqua le type à la plaque. On a le coeur bien accroché, mais pas à ce point.
Dans ma chambre, j'enfilai un jean et une chemise. Je savais qui ils étaient avant même de voir la plaque. Je les avais vus rôder dans les couloirs du tribunal correctionnel, où j'exerçais l'essentiel de mon commerce ces derniers temps, à défendre le bas peuple. On repère facilement les flics dans un tribunal: ce sont ceux qui rient en se frottant les mains et discutent pour savoir où ils vont déjeuner. Pendant qu'ils poireautaient, je pris le temps d'enfiler des chaussettes et une paire de grosses chaussures noires à bout ferré. Quand on a affaire à la police, mieux vaut protéger ses orteils; on peut être certain de se faire marcher dessus.
Je fermai la porte de la chambre derrière moi avant d'ouvrir la porte d'entrée. Ils entrèrent sans se presser, comme dans une galerie d'art, les mains dans le dos, penchés en avant tandis qu'ils examinaient les murs.
- Bel endroit, dit celui qui m'avait montré sa plaque.