Les hommes sirènes

Juhel Fabienne

ROUERGUE

Sur la barricade du chantier, quelqu'un a écrit:

DÉFENSE DE DÉPOSER DES ORDURES

En grosses lettres d'écolier rouges et maladroites. Ça transpire le meurtre dans les coulures.
Hier, ça n'était pas là. De ça, l'homme en est sûr. La palissade, le chantier, la décharge, si. Depuis pas mal de temps déjà, même qu'on se demande, pas lui mais les autres, ceux qui fréquentent le centre commercial et aussi un peu le bowling, si ça va encore durer longtemps le chantier derrière les planches.
- D'autant que de chantier faudrait qu'on en voie d'abord l'ombre d'une pelleteuse!
Statu quo, disent certains. Ils ont fait des études.
Et ils sont tous d'accord, même que ça n'arrive pas souvent, pour clamer haut et fort que cette terre désolée qu'on abandonne aux goélands, pour ainsi dire, eh bien, c'est insupportable.
- Oui, insupportable! ils répètent.
Les cris surtout, les cris des goélands, ça, ce n'est pas humain, naturellement. Sans parler des maladies que ces bestioles ramènent des mers du nord.
- Parce qu'il en transite des choses là-bas, figure-toi, une vraie autoroute, ils font remarquer à l'homme.
- Regarde les convois de retraitement des déchets nucléaires, pour prendre un exemple.
Ils ont vu des images à la télé, des documentaires sur France 3, ils n'inventent pas.
- Putain d'ordures! ils disent encore, pour conclure.
Ils ne crachent pas par terre, mais c'est tout comme. Peut-être qu'ils devraient. Ce serait plus radical, l'homme trouve.
- Parce que ça pullule de merde dans le coin, ils ont poursuivi.
Ils ne voulaient plus en démordre. Trois hommes au comptoir, à boire leur ballon de muscadet à dix heures du matin au Chat Qui Bâille.
- Avant, c'était plein de lapins et de perdrix, même de lièvres. J'en ai vu qui forniquaient sous la lune, je vous jure. C'est bien connu pour forniquer ces bêtes-là. D'ailleurs, c'est pas rien ce qu'on écrit dans la Bible sur ces bestiaux.
- Les jeunes de la cité, ils font sortir leurs clebs là-bas maintenant.
- Faudrait les éduquer, a dit la patronne.
Comme si elle mettait les lièvres fornicateurs, les maîtres et leurs merdeux de chiens dans le même panier.
C'est vrai, au fond, que la merde des hommes et celle des chiens se ressemblent beaucoup. Même calibre, même odeur, même quantité.
Mais un habitué a plaisanté.

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EAN
9782812601453
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