Les mystères de Druon de Brévaux Tome 4 : In anima vili

Japp Andrea-H

J'AI LU







Extrait



Forêt de Bellême, décembre 1306

Il avait neigé en début de nuit et un froid piquant colorait ses joues, lui faisant monter les larmes aux yeux, couler le nez. Sa capuche rabattue bas sur le front le protégeait à peine des assauts violents d'un vent tourbillonnant. Pourtant, une sorte de joie le portait, lui donnait envie de chantonner.
Il souffla entre ses mains jointes, dans le vain espoir de les réchauffer, et réprima un éclat de rire. Il aimait cette forêt de chênes, bouleaux et foyards, surtout la nuit. Elle sécrétait une paix presque irréelle, un silence rappelant l'aube de la Création. Il pouffa à nouveau : qui pouvait affirmer que la Création avait été silencieuse ? En réalité, l'absence de vies humaines alentour le grisait. Il imaginait la multitude de petites créatures aux aguets, se demandant si elles devaient fuir ou rester tapies derrière les ronces, les amas de bois tombé, les troncs ou les branches basses dénudées. Certes, il en était de plus grosses et de bien plus redoutables, notamment les ours et les loups qui pullulaient encore dans la région. Cependant, il ne les redoutait pas, grâce à la bienveillance de Dieu à son égard, bienveillance qu'il avait maintes fois vérifiée, et à son brin d'estoc1, sans oublier son imposant couteau de chasse.

Il leva le visage et inspira goulûment l'air glacial et vivifiant. Le ciel dégagé se parsemait d'une multitude d'étoiles. Une demi-lune éclairait son chemin, complice de sa promenade sylvestre. Il y voyait un signe faste. Une houle de reconnaissance le submergea. Tout n'était-il pas admirablement parfait, comme si Dieu lui-même avait veillé à l'agencement des événements ? Une absolue plénitude l'envahit et il frissonna de bonheur. Un bonheur bien fugace que tempéra aussitôt un regret, presque un ressentiment. Avec qui partager ces instants de perfection ? À qui tenter d'expliquer que la main de Dieu se trouvait derrière toutes choses, même les plus infimes, parfois les plus incongrues ? Personne ne pouvait l'aussi bien comprendre que lui. Telle était la marque de son élection mais aussi de sa malédiction : la solitude. Une solitude d'autant plus pesante qu'aucun de ceux qui l'entouraient ne pouvait la déceler. Il réajusta la lourde bougette qui pendait à son épaule et reprit sa marche.
Enfin, il parvint à la cahute de chasse construite en rondins par son grand-père Robert. Il la contourna, s'éloignant d'une vingtaine de toises* vers le nord. Il parvint à la butte rocheuse recouverte de ronces et d'arbustes enchevêtrés et écarta le rideau de branchages qui en dissimulait l'entrée. Son grand-père avait aménagé une sorte de vaste cave dans cette grotte naturelle dont le secret se passait de père en fils. Le vieux Robert y dissimulait du vin, et les biens qu'il voulait soustraire à l'impôt. Peut-être y protégeait-il aussi des aventures qui eussent fort déplu à sa femme, Rolande, dont tous prétendaient qu'elle portait chausses. Lui-même doutait que Robert eût risqué si gros, même s'il ne dédaignait pas une poulette gironde à l'occasion, et surtout en grande discrétion. En effet, Rolande, de forte gueule, et surtout de ronde dot, était de la trempe à bouger ses escabelles et à rejoindre la demeure paternelle pour laver un tel affront. Or, si Robert se montrait peu farouche envers le beau sexe lorsqu'il savait son épouse loin, il aimait avant tout l'argent. Au demeurant, il avait légué à son unique fils survivant - le père de ce visiteur du soir - un joli magot dont une bonne part était dissimulée dans la grotte. De plus, le vieux Robert n'aurait pas risqué qu'un délassement de sens avec une amusette de leste cuisse n'évente le secret de sa cachette. Quelle importance, si ce n'était que de telles spéculations le distrayaient, ajoutant à son excellente humeur du moment ?
--Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.


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EAN
9782290087756
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