Conversations

Jaccard Christian

ENSBA

Extrait de la préface

Le boutefeu dialecticien

On appelle «flamme», dans le langage des philatélistes, les dessins ou maximes accompagnant le tampon qui oblitère une lettre, un colis. La flamme qui figure sur les courriers expédiés par les Beaux-arts de Paris est une maxime admirable, empruntée à Denis de Rougemont et souvent citée par Jean-Luc Godard: «Les uns pensent, dit-on, les autres agissent, mais la véritable condition de l'homme, c'est de penser avec ses mains». Même si, chez Rougemont, il est question avant tout de pensée et d'action politiques, Christian Jaccard pourrait certainement faire sienne cette devise, lui qui n'a cessé, depuis plus de quarante ans, d'interroger la mémoire du monde en manipulant de façon quasi obsessionnelle de la corde, du cuir, de la toile et - clin d'oeil du lexique - de la flamme: mais une vraie flamme, de celles qui chauffent ou brûlent, et qu'il importe de savoir maîtriser si on ne veut pas finir comme Ferdinand Griffon, le Pierrot le fou de Godard, en miettes ou en cendres. Afin d'acquérir les matériaux dangereux, notamment les mèches lentes (dites «cordon Bickford») qu'il utilisait dans ses oeuvres des années 1970 et 1980, Jaccard avait d'ailleurs dû obtenir une licence de boutefeu, le permis de manier les explosifs qu'on exige des artificiers: on apprendra ce détail, ainsi que mille autres informations passionnantes, dans le présent volume d'entretiens, Christian Jaccard, Conversations.

La collection «Écrits d'artistes» a jusqu'ici privilégié la publication d'anthologies d'articles, d'essais ou de récits écrits par des artistes, excluant presque toujours les interviews et les correspondances. Si nous avons choisi de faire, sur sa proposition, une exception radicale pour Christian Jaccard, c'est que l'entretien, la conversation ou l'échange sont sa façon à lui d'écrire. Non qu'il soit incapable de tenir une plume, naturellement, mais parce qu'il a plus que quiconque besoin de confronter sa pensée à une autre pensée, dans la stricte continuité d'un travail qui est interaction permanente avec un matériau, dont il écoute la logique propre au moins autant qu'il lui impose ses propres vues. Jaccard est un empirique: «J'ai beaucoup plus de difficultés, avoue-t-il à William Mimouni, à dire qu'à faire», suggérant qu'avec ses Anonymes calcinés (tableaux figuratifs récupérés et soumis à différents processus de combustion) il avait fait ce que Duchamp disait («Readymade réciproque. Se servir d'un Rembrandt comme planche à repasser»). (En réalité Jaccard ne s'oppose pas à Duchamp, au contraire: ce dernier était, comme tous les grands artistes, avant tout un bricoleur, et sa méthode se révèle beaucoup plus empirique et manuelle que ne le prétendent ceux qui veulent à tort faire de l'art comme on fait du vélo, sans les mains... Et sans la flamme.)


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EAN
9782840563457
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