Beauvoir in love

Frain Irène

J'AI LU







Extrait



Extrait de l'avant-propos

«Il m'arrive quelque chose - qu'est-ce qui m'arrive ?»

Cette phrase sort d'un rêve. Celui que fît Simone de Beauvoir à New York, dans sa chambre de l'hôtel Lincoln, à l'aube du dimanche 26 janvier 1947, quelques heures après son arrivée aux États-Unis.
Elle ne parvint jamais à se rappeler ce que racontait ce rêve. Il n'en resta que cette phrase. Et au Lincoln, ce jour-là, en dépit de tous ses efforts, elle ne parvint pas à discerner ce qu'elle signifiait. Cependant, la phrase l'impressionna assez pour qu'elle en fasse mention presque aussitôt dans une de ces missives mi-lettre d'amour, mi-rapport qu'elle adressait à cette époque à Sartre - quand ils étaient séparés, elle lui relatait par écrit ses moindres faits, gestes et pensées.
Le rêve se répéta toutes les nuits suivantes, jusqu'au jeudi, sans qu'elle pût en retenir autre chose que cette angoissante interrogation. Simone de Beauvoir, de plus en plus troublée, en reparla donc dans ses courriers à Sartre.
Mieux : dix-huit mois plus tard, elle fit de cette phrase, à peine modifiée, l'ouverture de l'ouvrage qu'elle publia sur ses voyages en Amérique.
Ses voyages, et non son voyage. En effet, entre le songe du 26 janvier 1947 et la publication de ce livre, elle revint trois fois aux États-Unis. Et pour cause : très exactement vingt-sept jours après son rêve, elle avait fait la connaissance d'un homme dont elle était tombée éperdument amoureuse. De son propre aveu, il fut la seule passion de sa vie. C'était aussi un écrivain. Il s'appelait Nelson Algren et habitait Chicago. Lui aussi s'éprit d'elle avec la même passion.

L'insistance de Simone de Beauvoir à rappeler ce rêve, l'étrange «voix muette» qui lui avait parlé et la prédiction - car ensuite, elle parla expressément de voix et d'annonce - m'ont convaincue qu'elle n'avait jamais considéré comme une simple anecdote sa liaison avec Nelson Algren, l'être le moins destiné à la rencontrer. Même si elle ne le criait pas sur tous les toits, elle en était parfaitement consciente : sans lui, elle n'aurait jamais eu l'énergie de s'atteler à son oeuvre majeure, l'un des livres les plus importants du XXe siècle, puisqu'il révolutionna la vie des femmes et, par là même, celle des hommes : Le Deuxième Sexe.
Les courriers qu'elle adressa à Sartre dans le vif des événements regorgent de détails sur les circonstances qui entourèrent cette liaison - les lieux, les dates y sont très souvent et fidèlement reproduits, les heures aussi, parfois à la minute près. En les croisant avec les innombrables notations qu'elle consigna, toujours sur le vif, dans les centaines de lettres qu'elle envoya à Nelson Algren, on possède sur leur histoire un puzzle d'informations d'une extraordinaire précision. Une fois ces fragments de vie récoltés, on peut les confronter aux récits des témoins de l'affaire, puis aux confidences que Simone de Beauvoir elle-même consentit au soir de sa vie. Enfin les Mémoires du «Castor», comme l'appelaient ses amis, ainsi que ses romans, contiennent des évocations, parfois très fournies, de ces années de folie amoureuse.
--Ce texte fait référence à l'édition






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9782290091760
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