Le Stratagème de la lamproie

Extrait

- That's enough ! Nikolaï Semenov avait ponctué son affirmation d'un violent coup sur l'imposante table ovale. Il toisa tour à tour le Canadien, le Danois, l'Américain et le Norvégien et répéta les trois syllabes sur un ton nettement plus bas. Ça suffit. Le ronronnement des puissants moteurs du navire de croisière couvrit le son de sa voix et les mots restèrent échoués sur les lèvres du Russe. Il posa ses longues mains sur le teck massif et articula dans un anglais teinté de sonorités slaves : - La Russie ne peut plus tolérer que I'OTAN continue à la défier dans les eaux de l'Arctique. L'Alliance n'a rien à y faire et ne fait qu'entraver la coopération entre les États riverains. C'est de la provocation. Assis derrière leur représentant respectif, les experts en géologie, géophysique ou géographie, levèrent le nez de leurs écrans. Gregory Palmer se redressa, les traits creusés par la fatigue et le découragement. Un conseiller glissa quelques mots à l'oreille de l'Américain, mais rien ne permit de croire qu'il les avait entendus. Son regard se perdit quelques instants au-delà des hublots noirs dans lesquels se reflétaient les silhouettes des participants à l'ultime réunion de la Confédération de l'Arctique. - L'OTAN n'a aucune ambition dans la région, Nicolaï, et vous le savez. Certes, la Norvège, le Danemark, le Canada et les États-Unis en sont membres, mais chacun de nous défend ses propres intérêts, autant que vous-même. - Alors comment expliquez-vous le déploiement massif de l'US Navy dans la zone ? - Il s'agit de protéger nos navires contre vos sous-marins nucléaires. Dois-je rappeler que le Locharik a abordé une frégate norvégienne ? Sans notre intervention, elle aurait coulé avec tout son équipage. - C'est seulement la manoeuvre malheureuse d'un commandant excédé. Traqué depuis des heures par votre drone et votre hélicoptère NH90, il a refait surface à la proue de la frégate et la heurtée. Un simple accident. Le Norvégien Alf Irgens leva la main. - Comment la Russie justifie-t-elle la présence d'un sous-marin du projet 10830 Kalitka, spécialisé dans les forages en mer, sur le plateau continental des îles de l'archipel de Svalbard si ce n'est pour y prélever des échantillons géologiques ? - Comment la Norvège justifie-t-elle la présence d'un navire de recherche sous-marine N50 ? - C'était une mission scientifique dans une extension du territoire norvégien. - Vous délirez ! Cette interprétation de la géomorphologie du plateau arctique continental n'a aucun fondement solide. - Une interprétation qui ne vous a pourtant pas gênés pour revendiquer la dorsale de Lomonossov. - Les fonds marins de la dorsale de Lomonossov ne sont que le prolongement du plateau sibérien. - Messieurs ! coupa Charles Manning visiblement agacé. Les quatre autres représentants de la Confédération tournèrent la tête vers le Canadien.