L'art chinois

Elisseeff Danielle

LAROUSSE

Extrait de l'avant-propos

«Comprendre et reconnaître» l'art implique d'avancer sur des terres incertaines, car les contours de la création ne se laissent jamais enfermer dans des schémas simples. De plus, et contrairement à une idée parfois reçue, la Chine que nous connaissons aujourd'hui n'a pas toujours existé. Elle est le fruit évolutif de multiples rencontres, d'interminables synthèses; avant que celles-ci n'opèrent, ce qui nous semble tellement «chinois» ne l'était pas. Pour appréhender le sens des objets et des formes, il faut donc plonger dans l'histoire: non pas écrire une «histoire de Chine», mais tracer quelques grandes lignes d'une construction complexe dans laquelle s'inscrit l'art, ou toute forme de représentation. Puis, sitôt franchi le seuil du temps, s'en présente un autre: celui des systèmes de pensée, à la source des oeuvres.
Voici pourquoi cet ouvrage s'ouvre sur deux longs chapitres qui ont l'air de tourner le dos au sujet; en fait, ils donnent quelques provisions indispensables pour la route à suivre, car c'est de ce substrat que naissent les créations présentées ensuite: de l'architecture à la peinture, en passant par des arts que nous disons «mineurs» ou «appliqués»; ces derniers, de fait, contribuent depuis plus d'un millénaire aux mutations économiques du Vieux Monde (à travers le commerce de la porcelaine, par exemple).
Ces pages sont aussi l'occasion de remettre en question une échelle des valeurs esthétiques que chaque culture organise selon sa sensibilité: ce qui est «important» pour l'une l'est moins pour l'autre. Et les interrogations s'accumulent en fin de volume, quand s'annonce le temps presque actuel. Le XXe siècle, en effet, relevant déjà du passé et pourtant si près de nous, pose des questions épineuses: ici comme ailleurs, le recul manque; les théories fusent; les groupes de pression, politiques ou commerciaux, jouent un rôle actif; les oeuvres foisonnent, à la mesure de cette diversité sans précédent qu'offrent les techniques, les supports actuels et les débouchés d'une communication à l'échelle mondiale. Le chapitre sur l'art récent pourra donc sembler, plus encore que les autres, incomplet. Son utilité est ailleurs: il cherche à replacer dans le courant d'une évolution lente, mais radicale, les bouleversements plastiques et théoriques qui ont traversé les arts chinois au cours du XXe siècle.
La dernière partie du livre, enfin, aborde la question du patrimoine, aujourd'hui universellement reconnu comme un élément majeur dans la construction ou la reconstruction des peuples. Il semble en effet impossible de comprendre les choix chinois actuels (sur le plan de la recherche archéologique ou historique, ou en matière d'aménagement du territoire et des musées) sans percevoir les implications politiques qui en forment l'arrière-plan. Or une chose est sûre: merveilleux, simplement didactiques ou totalement fantaisistes, des milliers de musées sortent actuellement de terre et deviennent, dans les nouveaux paysages urbains chinois, d'indispensables marqueurs de modernité.
L'immense territoire chinois s'étend sur plus de 5000 kilomètres, tant en latitude qu'en longitude. La même heure, pourtant, s'affiche partout sur les horloges de Pékin à Kashgar, où personne ne s'étonne qu'ici la nuit tarde à tomber: chacun vit à la fois dans le temps local et dans le temps national. Sur les murs ou au bord des routes, affiches, slogans et panneaux signalétiques transmettent leurs messages en deux langues: par exemple le ouïgour, que l'on prendrait à première vue pour de l'iranien, et le chinois, dont la graphie ne ressemble à aucune autre. Dans les rues et suivant les régions, le visage des passants illustre tous les types, du plus «mongoloïde» au plus «caucasoïde». Telle est la Chine dont une succession de volontés humaines bien plus encore que les lois d'un déterminisme géographique implacable ont fini par fixer les frontières dans leur état actuel.

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EAN
9782035893642
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