202, Champs-Elysées

Eça de Queiroz José Maria - Piwnik Marie-Hélène

DIFFERENCE







Extrait

Extrait de l'introduction de Marie-Hélène Piwnik En 1888, Eça de Queiroz est nommé consul du Portugal à Paris et quitte Newcastle pour s'installer dans la capitale française. Il y demeurera jusqu'à sa mort, en 1900, y écrivant ses deux derniers romans, L'Illustre Maison de Ramires (publié en feuilleton dans la «Revista Moderna» à partir de 1897) et 202, Champs-Élysées (en portugais A Cidade e as Serras, La Ville et les Montagnes), qui ne paraîtra qu'à titre posthume en 1901, sans que l'ensemble du texte ait pu être revu par l'auteur : deux de ses amis, Ramalho Ortigão et Luis de Magalhães, se chargèrent de réviser la dernière partie du manuscrit, et la version française offerte utilise la dernière édition effectuée selon leur critère, celle d'Helena Cidade Moura. C'est la version que jusqu'à présent connaissent tous les lecteurs d'Eça, où que ce soit. Une édition critique est en cours, sous la direction du Pr. Carlos Reis, qui présentera dans l'état où Eça les a laissées les pages finales. 202, Champs-Élysées avait été précédé d'une nouvelle où s'illustrait l'opposition, qui allait nourrir le roman, entre décadence urbaine et régénération par la nature : Civilisation parut en 1894. Mais l'action s'en déroulait à Lisbonne, et une «Maison aux Jasmins» y préfigurait l'hôtel particulier de l'imaginaire numéro des Champs-Élysées où vit à Paris le héros Jacinto, jeune aristocrate portugais. Si les grandes lignes de force de la nouvelle structurent toujours 202, Champs-Élysées, le choix de Paris, un Paris fin de siècle où les excès de la modernité, quand ils ne font pas sourire, effraient plus qu'ailleurs, permet une dénonciation plus efficace et plus prophétique des dangers d'un progrès détourné de sa mission. D'autre part le contraste est plus saisissant entre la ville-lumière et les contrées encore primitives du nord du Portugal, dont la seconde partie du roman chante les beautés, qu'entre ces mêmes régions et Lisbonne, qui était encore une capitale de province selon Eça lui-même. Parfaitement équilibrée entre l'enfer de la ville et le paradis des montagnes, avec un même nombre de pages pour chacune de ces «forces en présence», le récit, que mène un ami du héros, Zé Fernandes, narrateur-personnage, sorte d'alter ego qui ne diffère de Jacinto que pour mieux lui ressembler (ou l'inverse), déploie donc deux volets en opposition souvent terme à terme (lieux, occupations, personnages etc.). Mais entre la France et le Portugal, l'Espagne n'est pas oubliée, et le passage du pont sur la Bidassoa prend une valeur symbolique évidente. C'est le passage d'une nation «civilisée» du Nord à un des pays «barbares» du Sud. Le thème central du livre est en effet fondamentalement une réflexion sur civilisation et barbarie à l'aube du XXe siècle. Ainsi dans la première partie, la dégénérescence de ce qui fut un symbole de la latinité, Paris, est portée au compte d'influences nordiques clairement mises en accusation, qu'il s'agisse du préraphaélisme, du ruskinisme, de l'hartmanisme, de Wagner, d'Ibsen, de la mythologie des Eddas, peut-être même de Freud, en tout cas de Charcot (il y a dans le roman un personnage de psychologue qui prend des notes pendant que ses patientes lui racontent leur vie intime sur le divan de son cabinet). Ces nouvelles conceptions artistiques - celles du symbolo-décadentisme, comme on lisait alors dans les journaux - sont pour Eça de Queiroz le produit de pays capitalistes, où les «classes dominantes» (il emploie le mot), ne pensant qu'à s'enrichir et à se divertir, en arrivent à la saturation. Rassasiées, blasées, repues, elles cherchent dans une modernité pervertie et perverse, dans une volupté qui les asservit, dans un raffinement qui les asexué, dans une esthétique morbide, quelque issue à leur spleen, à leurs névroses, tel le héros de Huysmans Des Esseintes. Mais la dénonciation utilise l'eau-forte, pour ne pas dire le vitriol. C'est donc une satire violemment ironique et très drôle, caricaturale - trop ? - de la société parisienne fin de siècle qui est proposée au lecteur. On y retrouve (sans le reconnaître ?) le monde de Proust et, plus directement, celui de Zola dans Paris (l'une des trois villes saintes au hasard desquelles Pierre Froment cherche à retrouver la foi que son métier de prêtre ne suffit pas à lui redonner). (...)



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EAN
9782729120696
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