L'Amour, échec de la philosophie ?

Droumaguet Yvan

APOGEE







Extrait

Introduction Quand les philosophes se sont intéressés à l'amour, n'était-ce pas, bien souvent, pour en dénoncer les illusions et les funestes effets ? Ne serait-ce pas là le signe de l'incapacité de la philosophie à comprendre l'expérience amoureuse ? Mais, quoi d'étonnant à cela si, par essence, la philosophie cherche à rendre raison de tout et si, par essence, l'amour échappe à toute raison ? Il y a bien, en effet, une énigme de l'amour ; sa «première vérité, et peut-être la plus fondamentale», comme le rappelle Nicolas Grimaldi, dans Métamorphoses de l'amour (2011), c'«est qu'il n'y a pas de raisons d'aimer. On n'aime pas à cause de ceci ou de cela». Énigmes, paroles obscures du mythe, arcanes de la poésie, les vertiges de l'amour demeureraient impénétrables au logos philosophique. Amour et philosophie ne sont-ils pas irrémédiablement étrangers, n'est-ce pas l'impossible dialogue du fou et du sage ? Comment rendre raison d'une déraison amoureuse qui, par ailleurs, se moque bien de la raison ? Ainsi, la philosophie, impuissante à penser l'amour, trouverait consolation à penser son échec, s'évertuant à expliquer, à la façon des philosophes stoïciens ou d'Épicure, qu'on ne peut être heureux en dehors des sentiers de la prudente raison. Édifiantes autant qu'inefficaces leçons ! Au fond, la philosophie ne reconnaît-elle pas là son propre échec à comprendre l'expérience humaine de l'amour ? «J'ai longtemps cru», nous dit, dans son récent ouvrage autobiographique Légère comme un papillon (2012), la philosophe italienne Michela Marzano, qu'«il suffisait de me cacher derrière des arguments rationnels pour donner du sens à mon existence». Elle se trompait alors, pense-t-elle, sur ce qui importe vraiment, négligeant, au profit de la rigueur des raisonnements, «ce qui nous affecte et nous bouleverse». Elle voit même, dans son attrait pour la philosophie et ses concepts, une sorte de fuite d'elle-même par mise à distance de son vécu le plus intime. Ainsi, opposant logique de l'argument et désordre des affects, Michela Marzano dénonce l'impuissance des «théories abstraites» à nous éclairer sur «la recherche du sens de notre vie, qui ne cesse de nous échapper». Certes, la philosophie ouvre des horizons qui élèvent l'esprit ; parfois, à leur découverte, celui-ci s'exalte mais peut aussi venir la déception : toute cette philosophie nous aide-t-elle vraiment à vivre et à comprendre le sens de ce que nous vivons ? En réfléchissant le rapport de la philosophie et de l'amour, c'est, plus généralement, celui de la pensée et de la vie que nous rencontrons. Penser nos émotions, nos désirs, nos souffrances, c'est aussi nous en éloigner, au risque de les perdre dans leur vérité qui, à l'exemple de nos expériences amoureuses, se donne dans le trouble et l'obscurité de leur vécu, non dans la calme clarté du concept. Pourtant, au début de son livre, Éloge de l'amour (2009), dans son entretien avec Nicolas Truong, le philosophe Alain Badiou affirme que la philosophie ne se sépare pas «des violentes péripéties de l'amour». Penser et agir en philosophe aurait pour conditions d'avoir quelque expérience ou connaissance dans les sciences, les arts et la politique mais aussi, ce qui est peut-être plus inattendu, en amour. Autrement dit, au philosophe qui n'a pas été amoureux, il manquera quelque chose, une expérience tout aussi essentielle pour comprendre (et, pour Alain Badiou, transformer) le monde que celles des sciences, de la politique ou des arts. Si cette exigence est fondée, on peut donc attendre du philosophe qu'il nous dise bien, de l'amour, quelque chose qui nous éclaire. De celui dont le nom signifie qu'il aime (philos) la sagesse (sophia), une telle attente est légitime, mais est-ce en amoureux, en amant ou en ami que le philosophe aime ?



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EAN
9782843984488
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