Topiques sinaïtiques. Tome 5, Les Juifs et leurs prochains

Draï Raphaël

HERMANN

Extrait de l'introductionNon pas l'«autre» mais le prochain«Juif» et «prochain», ces deux termes peuvent-ils, précisément, se rapprocher? La question pourrait sembler déplacée tant elle controuve la donnée d'évidence selon laquelle, hormis cas pathologique, nul être humain ne saurait et ne pourrait vivre sans relation avec autrui. Au surplus n'est-ce pas la Loi du Sinaï, explicitée par le Lévitique, qui enjoint «... et tu aimeras ton prochain comme toi-même», si l'on se réfère à cette traduction qui n'est pas la seule possible? Et pourtant il y a loin parfois de la norme aux réalités, de l'idéal à l'effectif. Tout au long des siècles, les Juifs ont subi des persécutions d'une telle outrance psychique, d'une telle violence physique, qu'ils ont été en droit de se demander, à front renversé, si eux-mêmes étaient considérés le moins du monde comme prochains parmi les peuples et les entités politiques d'où naissaient les persécuteurs qui entendaient les exterminer et les effacer d'une mémoire que l'on aurait malgré tout continué, sans sourciller, de qualifier d'«humaine». Pour expulser les Juifs de l'Humain, il est non moins avéré que ces persécutions annihilatrices arguaient de leurs propres lois et conduites lesquelles les inciteraient à se prendre pour le «Peuple élu» et se retrancher du reste des hommes, ne pas croire à ce en quoi ceux-ci croyaient, à ne pas y prendre femme, à ne pas manger avec eux, à ne pas s'habiller, marcher, respirer comme eux; à incarcérer la Bonne nouvelle relative à la rédemption du péché originel, puis à récuser la révélation coranique, puis la luthérienne, puis «les Lumières», puis les Droits de l'Homme, en attendant pieux ou pire. Il n'a pas retenti que dans les théâtres fréquentés par la gent cultivée le cri de Shylock, ce personnage fantasmatique issu du boueux esprit littéraire «occidental» - pour signifier sa propre coupure de l'antériorité sinaïtique, de l'orient humain: «Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas? Si vous nous emprisonnez, ne mourrons-nous pas? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas?» (Acte III, scène 1).Il faut revenir à la vérité de la loi sinaïtique, telle qu'elle a été sans cesse, fidèlement, portée par le peuple qui l'avait acceptée. On l'a dit maintes fois: l'injonction du Lévitique ne se réduit pas à une formule pieuse, à une déclaration de bonnes intentions. Elle constitue un grand principe, un klalgadol, du droit sinaïtique, ce qui entraîne, s'agissant de n'importe quelle décision, politique, administrative, juridictionnelle, prise par quelque autorité compétente que ce soit, que cette décision se motive par l'injonction précitée et qu'elle en devienne l'illustration probante. Si le roi Salomon, dans le jugement auquel son nom est à jamais identifié, a attribué l'enfant symétriquement contesté par deux femmes à celle qui en avait refusé la vivisection, c'est précisément parce que, d'une part, celle-ci, en déclarant sa préférence pour la vie de l'enfant, au-delà de sa possession à tout prix, ne manifestait rien d'autre que son amour pour lui et, d'autre part, parce que par cette décision le roi Salomon en personne marquait lui aussi sa suréminente dilection pour la vie.La relation au prochain se retrouve au fondement de l'anthropologie et de l'ontologie bibliques. La question a été posée dans la Tradition juive? Pourquoi la Thora ne débute-t-elle pas par l'histoire du peuple d'Israël es qualités, ce qui eût fait commencer le récit biblique au livre de L'Exode (12, 2): «Ce mois sera pour vous le commencement des mois, il sera pour vous le premier des mois de l'année»? L'une des réponses est celle-ci: parce que le peuple juif n'est pas né de lui-même, qu'il procède d'une généalogie le reliant à la naissance du genre humain, à Haadaam, dont, en chemin, il endosse l'Histoire avec ses moments parfois plus que contrastés et contristés. Ce qui importe est que cette axiomatique ne demeure pas une abstraction lointaine, qu'elle se prolonge jusque dans le cycle des prières d'Israël, de la plus matinale jusqu'à celle qui clôt les liturgies particulièrement solennelles du mois de Tichri.

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EAN
9782705683009
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