Le roman d'Athénaïs. Une vie avec Michelet
De l'Ardus aux Chapitoulas
Ni cris, ni plaintes. Elle ne s'autorisa que les larmes. Des larmes de douleur, de dégoût, de honte. Car Yves Louis Hippolyte Mialaret, le père adoré dont le portrait ornait le mur de la chambre, l'observait, couchée sous son mari, tendue, raide, résistante. Elle avait croisé son regard si fidèlement restitué par le tableau, et ses larmes avaient coulé au moment même où l'homme était enfin parvenu à la pénétrer. Il gémissait en grognant presque.
La honte s'éloigna, remplacée par l'espérance. Elle cherchait dans les yeux de son père une aide bienveillante, capable d'apaiser les douleurs et les brûlures de son sexe, d'expulser la tige poisseuse qui lui faisait si mal. L'aide fut efficace: bien que peu pressé de se retirer, son mari se décolla enfin d'elle. Il lui procurait maintenant mille tendresses reconnaissantes, embarrassé de l'avoir fait souffrir, mais heureux de sa possession.
«Ce soir, écrirait Michelet en évoquant ce 7 mars 1850, je pris possession de mon vagin (sic) plus que je ne l'avais fait jamais.»
Athénaïs fixait toujours le portrait d'Yves Mialaret tout en embrassant la tempe humide de son mari, ne sachant guère à qui des deux s'adressaient ses baisers. Le souvenir du père effaçait l'humiliation du viol conjugal - consenti comme un dû légitime - mais la renvoyait aux plus secrets replis de son enfance. L'avait-elle d'ailleurs quittée, son enfance? Pouvait-on jamais se dépouiller de sa peau d'enfant quand la chrysalide avait été si rudement piétinée, asséchée, tant de fois meurtrie? Chaque épreuve du devoir conjugal, au lieu de l'affranchir de ses blessures passées, la figeait dans ses robes de petite fille. Âme d'enfant dans un corps de femme...
Au fil des jours s'ensuivaient pour elle de longues heures de songe, à huis clos dans son passé, où elle cherchait en vain l'ébauche d'un sens. Son mari s'inquiétait de son mutisme, souffrait de ses regards fermés au monde, dirigés vers l'épineux chemin de ses souvenirs de jeunesse.
Elle avait quatre ans quand Emma Becknell et Yves Mialaret se souvinrent qu'ils étaient parents d'une petite Athénaïs aperçue, un peu à contrecoeur, lors de rares visites chez sa nourrice. Quatre ans, c'était le bon âge pour le retour des enfants à la demeure familiale. Déjà débrouillée, éduquée à la propreté, la fillette était suffisamment autonome pour ne pas être trop encombrante, mais encore assez malléable pour se soumettre aux impératifs d'une éducation austère et exigeante.
C'est ainsi qu'un matin de septembre - il faisait encore chaud, la porte était grande ouverte - Athénaïs vit s'arrêter devant la ferme une voiture plus élégante que celles qui arpentaient habituellement les routes de campagne. Son coeur, déjà alourdi, se serra. Depuis quelque temps, la tristesse, une certaine retenue, les baisers plus rares de maman Nanou l'inquiétaient. La belle paysanne qu'on ne lui avait pas donné le droit d'appeler «maman» tout court (autre mystère) se dérobait quand Athénaïs, comme elle l'avait toujours fait, posait la tête sur son ventre et enlaçait sa taille. La petite fille n'était plus soulevée de terre par les bras solides et aimants, embrassée, caressée. En revanche, à plusieurs reprises, alors qu'elle allait la coucher, Nanou l'avait serrée contre elle très fort, trop fort, et ses mots doux avaient pris une résonance plaintive:
- Ma petite fille, ma toute petite...
| EAN | 9782714446862 |
|---|---|
| Titre | Le roman d'Athénaïs. Une vie avec Michelet |
| Auteur | Delamotte Isabelle |
| Editeur | BELFOND |
| Largeur | 155mm |
| Poids | 535gr |
| Date de parution | 08/11/2012 |
| Nombre de pages | 417 |
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