Noires blessures

Dalembert Louis-Philippe

MERCURE DE FRAN

Mamad est ligoté à la chaise, les bras solidement retenus derrière le dossier. Une corde de nylon de la grosseur d'un doigt d'adulte serpente autour de son corps, des épaules aux chevilles, glisse entre les barreaux et vient garrotter ses poignets. D'étranges tatouages couvrent son buste nu. Des stigmates, en fait, résultant de ses efforts pour se libérer. Sa tête pend à la renverse. La pénombre naissante laisse deviner son visage recouvert de pustules énormes, comme s'il avait été piqué par un bataillon de fourmis rousses à grosse tête. Il ne bouge pas. La cuisine américaine, comme le reste de la maison, est plongée dans le silence. Pas le moindre bruit, ni d'humain ni d'animal. Ni même du vent, d'habitude si disert. L'homme émerge avec peine. Combien de temps a-t-il dormi, est-il resté évanoui? Les sensations lui reviennent peu à peu, en un picotement progressif de ses membres. L'envie de se gratter jusqu'au sang. Un léger tressautement des épaules trahit la rage de ne pouvoir se mouvoir. La douleur reprend possession de ses muscles. Elle s'intensifie, passe par l'estomac, qui gargouille un reflux acide de lointaine mémoire, remonte la poitrine, traverse le cou et va se loger dans son crâne. Soudain lourd, aussi lourd que celui d'un éléphant.Mamad tente d'ouvrir les yeux, mais il n'y parvient pas. Ses paupières, gorgées de sang et de sel, refusent d'obéir à son cerveau. Il insiste. Engage toute l'énergie qui lui reste dans ce geste pour le moins naturel. Les cils s'arrachent enfin les uns aux autres, dégageant un interstice horizontal, une lucarne sur la vie. Autour de lui, les objets continuent de flotter dans le brouillard. Un goût d'hémoglobine traîne sur ses lèvres sèches et bouffies. L'impression qu'elles sont énormes, aussi massives que la croupe d'un hippopotame.

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EAN
9782715231603
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