Le Curé de Soweto

Cormier Jean - Lafont Emmanuel

DU ROCHER







Extrait



En Afrique, on l'appelle «Senatla» !

«Oui, mais toi tu rentres dans ton hôtel de Blancs...»
La scène se passe dans Soweto en septembre 1989. En plein apartheid, là, précisément où tout le monde est noir. Le Blanc que je suis n'est pas pour autant regardé comme un spécimen rare. Même si, pour l'heure, je suis, effectivement, le seul visage pâle à promener ses guêtres dans le township le plus célèbre du bout de l'Afrique.
Je discute avec un gamin qui me demande ce que je fabrique hors de ma zone. Je lui explique que j'ai fait une fugue, qu'en fait j'accompagne, en tant que journaliste, des rugbymen français venus intégrer une sélection mondiale pour en découdre avec les massifs Springboks, à l'occasion du centenaire de la Fédération sud-africaine.
Un soupçon déstabilisé par sa réaction - qui lui fait dire que je rentre dans mon hôtel pour «White only» - je joue son jeu et lui demande s'il veut que je reste dormir chez lui !... comme je l'avais fait, avec un pianiste de jazz, noir évidemment, un gros pluriel d'années en arrière, dans le Harlem de New York, quand ça chauffait grave, puisqu'à l'époque, Harlem-la-Black était en feu ! Une autre histoire...
Là, le noirpiot lève vers moi un regard malinou :
«Tu sais, il y a, près d'ici, un Blanc, un prêtre, "Father Lafont", qui vit à Soweto. Je crois bien qu'il est français...» Dans le genre : «Il n'a pas peur, lui...»
«Thank you...» et merci pour la nouvelle !
Le lendemain, j'entre dans l'église Saint-Philippe-Neri du quartier Moletsane et me trouve confronté avec un sourire qui émerge d'une barbe à la va comme je te pousse. D'entrée, ce sera «Manu» et ça restera «Manu». Sourire d'une qualité rare, comme on dirait d'une émeraude dont le jardin serait extraordinaire. Je me transforme en buvard, avide que je suis de tout savoir sur cet être qui défie les lois de la terrible pesanteur d'un pays pas comme les autres...
Quand il a les yeux ouverts, son regard rappelle celui de Charles de Foucaud. Quand il les ferme, c'est pour dormir à même le sol, laissant sa couche à «ses enfants», comme il les appelle, les gamins auxquels il sert de guide : Machif, Molefi, Olo et Pasika, surnommés les «four bullets», ses quatre balles, ses quatre protecteurs !
Le fait d'assister à une messe dite par le prêtre blanc, en sotho et en zoulou, deux des neuf langues du pays, voilà qui m'a donné l'impression que, dans cette église, on tutoyait Dieu plus directement qu'ailleurs. Simplement parce que les humains qui y sont rassemblés ont vraiment besoin de lui pour les aider à se sortir de l'ineptie historique qui les étouffe.
La première fois que j'ai posé les pieds en Afrique du Sud remonte à 1975. Je me fis alors mettre dehors des toilettes «Black only», m'étant trompé d'adresse ! Même chose, n'ayant toujours pas percuté, en attendant mon tour à la poste du centre de Johannesburg, dans la partie réservée aux Noirs... Prenant mal ma présence, la jugeant provocatrice, les Blacks m'envoient dans l'autre aile du bâtiment, où m'attendait un guichet pour Blancs et, derrière les barreaux, un bipède de la même couleur que la mienne !



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EAN
9782268070551
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