La femme aux fleurs de papier

Carrisi Donato ; Bokobza Anaïs

CALMANN-LEVY







Extrait

1 La nuit du 14 au 15 avril 1912, tandis que le Titanic sombrait au beau milieu de son voyage inaugural, un des passagers descendit dans sa cabine de première classe, revêtit un smoking et remonta sur le pont. Au lieu de chercher à sauver sa peau, il alluma un cigare et attendit la mort. Quand on demanda aux rescapés du naufrage qui était cet homme mystérieux, la majorité identifia un certain Otto Feüerstein, négociant en tissus, qui voyageait pour affaires, seul. Aucun d'entre eux ne fut informé qu'en réalité Otto Feüerstein était mort dans son lit, chez lui, à Dresde. Deux jours avant que le Titanic lève l'ancre. 2 Une immense cathédrale de glace. Jacob Roumann, à l'abri derrière le mur de la tranchée, observait la montagne. C'était là qu'on enterrait les morts, dans les neiges éternelles. La roche était trop dure pour y creuser des fosses. Cela présentait un avantage : dans ces tombes de gel, les corps seraient conservés intacts pendant des millions d'années. Jeunes pour l'éternité, pensa-t-il en refermant d'une caresse les paupières du soldat qu'il n'avait pas réussi à sauver - quel âge pouvait-il avoir ? Dix-huit, dix-neuf ans. Puis Jacob Roumann se tourna vers une bassine en zinc et plongea dans l'eau ses mains tachées de sang. Depuis deux ou trois heures, les armes se taisaient - pour combien de temps ? Maudite glace. Il avait espéré que le froid ralentirait l'hémorragie du blessé. En vain. Sans médicaments et avec les quelques instruments usés qu'il avait à disposition, il n'avait pu arrêter le saignement. Et même s'il y était arrivé, à quoi bon ? Ceux qui guérissaient étaient expédiés en première ligne. Il les remettait sur pied pour qu'ils tuent ou se fassent tuer - belle récompense ! Finalement, lui aussi travaillait pour le compte de la Grande Faucheuse. Je suis le clown envoyé par Dieu en pleine Apocalypse, se disait-il. Autour de lui, plus rien n'était pourvu de sens logique. Pour commencer, c'était le printemps mais tout évoquait l'hiver. Ils l'appelaient guerre mondiale, mais au fond c'était toujours la même merde. Une génération prometteuse d'Autrichiens - les meilleurs fils de la patrie - était venue se faire trucider au nom d'un avenir qu'elle ne connaîtrait jamais. Jacob Roumann voyait arriver des jeunes gens farcis d'hormones et d'idéaux ; au bout de quelques semaines de tranchées, ils ressemblaient à des petits vieux trouillards et rancuniers. Il blâmait aussi les Italiens de l'autre côté du front. Mal équipés, peu ou pas préparés au combat, ils étaient mus par le souvenir de leur Risorgimento, leur lutte pour l'unification. Poussés par l'exigence de rivaliser avec leurs pères, les fils voulaient s'assurer une place dans l'histoire, ignorant totalement que, une fois cette guerre terminée, tôt ou tard une autre éclaterait et que l'histoire les oublierait. Et lui ? Que faisait-il là ? Il se le demandait de plus en plus souvent. (...)



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EAN
9782702144749
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