Les incertitudes du jeune Saxon

Carbonnier Jean

LEXISNEXIS







Extrait

Le retour de l'armée à Dresde avait été lugubre. Non seulement une déroute, mais la grâce du vainqueur et le sentiment qu'une fatalité courbait la Saxe à toujours choisir le camp des perdants, des perdus. Perdus, les Prussiens, après Iéna ? Tous ne le croyaient pas. Pire que la défaite, la division s'était installée dans la population. Dans les familles même. Le major n'avait qu'à regarder ses deux fils, en bas, dans la cour, en train de se quereller, de se battre. Ils roulaient, ils s'enlaçaient comme deux serpents. L'aîné qui était pour la Prusse écrasait de ses quinze ans les douze ans du plus jeune, qui se débattait, hurlant en français : «Vive l'Empereur !», puis se dégageait, repartait à l'assaut - dans un combat fraternel, qui eût été inégal si le grand n'avait limité sa vigueur. Le major haussa les épaules. Ces disputes, qu'il voyait dans sa maison, dans toutes les maisons, n'avaient aucun sens militaire. Aux soldats, c'est leur officier, à l'officier, c'est son roi qui désigne l'ennemi. L'ennemi du moment. Mais, dans la guerre, dans les combats, le moment ne marche pas au pas mesuré du calendrier. Soudainement, il explose, et ce qu'avaient ordonné les hommes est effacé par les commandements de l'esprit. Ses fils grandiraient. Quant à sa fille... C'était la même chambre, mais on en aurait dit deux. Aucune cloison ne les séparait, seulement la bouderie des deux frères qui l'habitaient. Non pas une détestation réciproque, mais les humeurs différentes que leur inspiraient les événements autour d'eux. Chacun sur son lit, à demi étendu pour l'instant, comme en demi-congé, l'aîné fourbissait un pistolet, le plus jeune feuilletait un vieil Almanach des Muses. C'était lui, pourtant, le plus batailleur. Grossissant rapidement, une fanfare dévala le long de la rue : tambours et clairons, mais point de fifres ; pas de doute, c'étaient des Français. Friedrich jeta son livre, courut à sa fenêtre, l'ouvrit toute grande. Derrière la musique, la troupe défilait déjà. Il se pencha, battit des mains, cria : «Vive l'Empereur !» dans un français moins haché que naguère. Ludwig, abandonnant son arme, alla à sa fenêtre à lui, ébaucha un geste comme pour fermer les volets et haussa les épaules. Un portrait du grand Frédéric, dans un cadre doré, était suspendu de son côté, le portrait dont le vieil Anton Graff, le peintre de la Cour, avait répandu des copies par centaines à travers la ville. À l'autre bout, c'était Napoléon qui trônait dans une estampe plus modeste, tant bien que mal épinglée au mur, entourée de quelques feuillages qui pouvaient faire figure de lauriers.



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EAN
9782711016082
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