Le Juste et l'Injuste. Interprétation de quelques pasaumes

Buber Martin - Buhot de Launay Marc - Cohen-Levina

HERMANN

Extrait de l'avant-propos

Je traite, dans ce livre, de cinq psaumes qui concernent en général le rapport entre l'agir juste et l'agir injuste, entre ceux qui, ici-bas, agissent de manière juste et ceux qui agissent de manière injuste, et, partant, il y est également question de l'affrontement terrestre entre le bien et le mal.
Comme on doit le déduire des différences dans la tradition de leur style, ces psaumes ont assurément des auteurs divers; mais les hommes qui s'y expriment sont si proches dans leur intuition fondamentale et leur attitude essentielle que l'on est autorisé à leur substituer une figure unique qui se manifeste précisément de manière variée à travers eux: «le Psalmiste». En effet, si l'on ordonne de manière correcte ces psaumes, ils se complètent comme le feraient les différentes étapes d'un cheminement individuel - cheminement vers une grande idée à travers des expériences qui bouleversent et transforment.
Ce chemin débute (Psaume 12) avec le fait que le psalmiste se trouve confronté à un monde où règnent la «langue doucereuse la tromperie affranchie de tout scrupule, se faisant l'écho de toutes sortes d'intrigues grâce auxquelles le faux réussit à se donner pour le vrai, et la violence pour l'ordre juste. Où y aurait-il encore quelque recoin pour la loyauté! Or le psalmiste en est certain: Dieu va «surgir maintenant», prendre en charge la loyauté opprimée et instaurer sur terre la domination de la vérité.
Pourtant, il semble qu'on aille vers le pire (Psaume 14): on a l'impression que tout serait décomposé, que plus personne n'agirait de manière juste, ne se risquerait à le faire; seul un reste, que le psalmiste appelle «mon peuple», persiste dans l'équité. Mais celui qui s'y exprime ne confesse pas encore, même alors, sa certitude d'une assistance divine. Dieu, à ce qu'il sait, ne soumet pas à l'épreuve, simplement d'en haut, la nature humaine ni ne prépare la défaite du mal: il offre au reste loyal la faveur de sa présence.
La confiance du psalmiste sera néanmoins peu à peu déçue; le tournant n'a pas lieu, et tout se passe comme si «l'ami du néant» devait rester vainqueur, ainsi que sa doctrine qui veut que Dieu ne se préoccupe pas du monde des hommes. Cette situation, dont ne cesse de croître le caractère inquiétant, le psalmiste (Psaume 82) ne sait pas autrement se l'expliquer qu'en disant que Dieu a délégué le gouvernement terrestre à des anges afin qu'ils administrent la justice, mais que ces derniers, comme jadis les premiers hommes, se sont eux-mêmes trahis. Quoi qu'il en soit, l'espoir du psalmiste ne lui fait pas défaut. C'est renouvelée qu'il accueille, dans sa vision, la certitude que Dieu jugera les mauvais juges, et qu'il les condamnera, comme jadis les premiers hommes, à mourir. Et lorsque le jugement reste en suspens, il a l'audace d'interpeller Dieu afin qu'il veuille bien «surgir» et accomplir le verdict.
Cependant, le psalmiste est de nouveau déçu (Psaume 73). Autour de lui la grossièreté prospère et le juste souffre. Il lui semble alors qu'il n'en pourra jamais être autrement sur terre. C'est en vain qu'il cherche à nouer un autre rapport à la toute-puissance divine et au destin des hommes, un rapport qui, dans cette existence absurde, ouvrirait une possibilité d'avenir, pleine de sens. Il en arrive presque à succomber au désespoir. Or, à l'improviste, et sous l'influence d'une lumière jamais encore pressentie, une transformation se produit en lui qui le met sur la voie de Dieu, et le conduit vers sa proximité. En même temps que le coeur, l'oeil se métamorphose, et, dans ce qui jusqu'alors paraissait absurde, se fait jour, pour le regard neuf, le sens. Tout repose sur cette transformation intérieure; c'est à partir d'elle seulement que le monde change.

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EAN
9782705682453
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