L'impatience des langues

Bensussan Gérard - Cohen-Levinas Danielle

HERMANN







Extrait

Des pensées échappées Danielle Cohen-Levinas : Nous n'avons pas commencé ce livre par le début. La question du commencement ne nous a pas effleuré. Jusqu'au jour où nous nous sommes dit qu'il fallait bien que le livre s'ouvre sur un commencement. Question légitime lorsque l'écriture d'un livre s'achève et que sa genèse nous apparaît plus explicite. Alors je fais un effort de mémoire. Un espacement temporel fait que ce livre n'a pas commencé par un commencement, un «il était une fois» si tu préfères, parce que, si je me souviens bien, il s'est présenté d'emblée à nous comme le prolongement d'un entretien que nous avons réalisé autour de ton livre, Marx le sortant. Chemin faisant, une ligne de pensée s'est détachée, une brèche déjà ouverte dans la langue de Marx, ou plus précisément, dans ses langues et dans la manière dont tu les fais résonner au travers d'autres philosophèmes. Cette ligne de pensée a fait ressurgir leur puissance de protestation contre l'historicité acquise et les savoirs qui en scellent le destin. Le refus de l'histoire et d'une vision synthétique du monde représente un des aspects récurrents de notre projet. D'où l'importance fédératrice accordée à l'idiome «langue» et «langage», le lieu où se signifie et se constitue l'existence et l'expérience. Les noms de Rosenzweig, Benjamin, Levinas, Derrida se sont agglutinés à celui de Marx, comme transportés d'un seul tenant dans le présent immédiat de notre réflexion, devenant le passage à une langue qui se déborde elle-même, à une incessante Sprache qui s'accomplit au moment même où elle se retire pour céder la place à une parole vivante (das Sprechen) ; comme si tu nous renvoyais à une spectralité antérieure, déjà contenue dans cette antériorité. Une infinition de langues dans une infinition de temps, inséparable d'une sensibilité politique. Une infinition de langues dans une infinition de temps, inséparable d'une sensibilité politique. Idée que le messianisme, en son incessant commencement et recommencement, n'épuise ni le sens de l'histoire ni celui des langues. Et puis, une brèche s'est ouverte qui ne pouvait en rien constituer un début, dans la mesure où, avec le tuilage des langues philosophiques, le temps historique est rompu, sa puissance diachronique précède toute tentative de synthèse. Il me semble que c'est là, à cet endroit précis où la question du temps accroît la défaillance d'une langue métaphysique saturée de totalisation, qu'a émergé de notre plume l'idiome messianique. Ce dernier parle une langue qui ne répond plus à une trajectoire horizontale venant à son terme, mais une langue disruptive, au-delà de l'histoire. Certes, et nous en avons parlé dans cet entretien, tu n'abordes pas explicitement dans Marx le sortant l'horizon messianique qui affleure à la surface et dans les plis des langues de Marx. Cet idiome absent ourdit malgré tout, non seulement ta démonstration et ce que tu entends par Ausgang (sortie), mais également et avant tout la manière dont la philosophie prospective de Marx tente de se déprendre de la fatalité du présent, en affirmant que l'homme est capable de penser un horizon futur qui concerne la collectivité humaine dans son essence. Il y va d'une utopie messianique qui éveille l'homme à la conscience de sa propre faim et au souffle contestataire et révolutionnaire du desiderium grâce auquel il s'arrache à elle, ainsi qu'à la crainte et à l'idolâtrie de l'histoire et du passé.



43,75 €
Disponible sur commande
EAN
9782705668181
Image non contractuelle