Voyage vers l'enfer
Benchellali Mourad ; Audouard Antoine
ROBERT LAFFONT
Extrait
Préface :
Vénissieux, juillet 2006
Hier, ma voiture m'a lâché. J'étais ennuyé parce que même si la banlieue lyonnaise n'est pas Los Angeles, ce n'est pas toujours facile de se déplacer partout avec les transports en commun. Mon travail en intérim s'est arrêté sur un bête accident du travail, et de toute façon je n'ai pas très envie de retourner à la chaîne. J'ai rendez-vous à l'ANPE la semaine prochaine pour faire un bilan et trouver une formation adaptée. J'habite chez ma soeur aînée avec son mari et leurs deux petits enfants en attendant d'avoir un boulot stable pour chercher un chez-moi.
Le médecin qui m'a diagnostiqué un ulcère à l'estomac dit qu'à mon âge c'est un peu tôt, mais ça se soigne. Et moi qui étais un poulet maigre, j'ai pris trop de poids ; il faut que je me remette au sport.
Je viens d'avoir vingt-cinq ans. Quand j'ai su que Djamila s'était fiancée, j'ai pris un coup sur la tête. Mais avec le recul je la comprends et je ne lui en veux pas. Je sais que j'arriverai un jour à fonder une famille.
J'ai eu mes moments de «haine» pendant les quarante-six mois de mon enfer, mes désespoirs aussi. Mais je n'ai pas quitté mes prisons la colère au ventre. Au contraire. Je suis devenu encore plus religieux et encore moins radical. J'essaie d'être plus intelligent - faire le tour de la question, voir les différents angles, pas seulement celui des émotions immédiates. L'injustice, en tout cas, l'excès de la punition ont eu ce curieux effet sur moi : je me rends encore mieux compte que le monde est plus compliqué que ce que j'aurais pu croire.
Moi qui n'étais pas violent, qui n'avais jamais volé ni blessé qui que ce soit, j'ai été confronté à un univers d'une violence extrême : celui du camp, où, sans connaître les projets précis qui se tramaient, j'ai ressenti la folie d'un petit groupe d'hommes prêts à tuer au nom de l'islam; celui de Kandahar, puis de Guantanamo, univers hors la loi, organisé pour détruire mentalement ceux qui sont tombés, coupables et innocents mélangés, sans possibilité de recours. Cette violence aurait pu me rendre violent à mon tour; c'est tout le contraire qui s'est produit. Elle m'a mis l'esprit de paix au coeur. Elle m'a fait comprendre, très profondément, au-delà de l'instinct, que ce n'était pas mon chemin. (...)
Sans me prendre pour un savant, avec la simplicité de ma foi, je ne me reconnais pas du tout dans la lecture que certains font de l'islam et de son livre sacré, le Coran. Ils parlent de guerre, et j'y vois la paix, la compassion. Ils parlent de colère, de rage, et j'y vois la douceur.
Je ne veux donner de leçons à personne et j'espère seulement que si je raconte toutes les étapes de ce voyage, les autres me suivront jusqu'au bout, avant, peut-être, d'en tirer leur leçon.
M. B.