Rouen, 1203

Aillon Jean d'

FLAMMARION







Extrait



Janvier 1201

La vie était rude et courte pour les serfs de l'abbaye de Tiron.
Comme tous les dimanches, Foulques et Flore s'étaient rendus à la messe. Il neigeait et tous deux grelottaient, lui sous sa casaque et elle sous son manteau, même si celui-ci, qui venait de sa mère, était épais et de bonne laine.
Ce dimanche-là ne ressemblait pas aux autres. Quand ils étaient entrés dans la cour de l'abbaye, ils avaient découvert une vingtaine de chevaliers et d'écuyers avec au moins autant de sergents dont plusieurs porteurs de bannières.
La troupe venait d'arriver, car nombre des hommes d'armes se tenaient encore à cheval sur de beaux destriers recouverts de jupes de toile multicolore. Ayant reconnu les croissants des comtes de Châteaudun et la bande d'argent des comtes de Blois sur les bannières et les écus, Foulques s'était approché, attiré par les harnois, les hauberts et les cottes blasonnées.
Plus grand que les autres hommes du pays, bien charpenté, adroit de ses mains et ne rechignant pas à l'effort, Foulques était un garçon vigoureux. Il aurait pu devenir l'un des riches paysans qu'il côtoyait à l'église et qu'il saluait bien bas. Il aurait pu, s'il n'avait été serf.
Foulques appartenait à l'abbaye. Il était l'un de ses biens, comme les boeufs, les chevaux, les meubles ou les terres. Il pouvait donc être cédé tout comme ses parents, propriétés du comte de Châteaudun, avaient été vendus à l'abbé.
Certes, leur sort s'était ainsi amélioré. Les serfs étaient mieux traités par les moines, l'abbaye ne tenant pas à perdre son placement. Mais, même baptisés, leur vie ne différait guère de celle des animaux.
À quinze ans, le régisseur des tenures de l'abbaye avait enlevé Foulques à sa famille. Son père et sa mère cultivaient un petit jardin mais, malgré cela, ils ne parvenaient pas à nourrir suffisamment le jeune garçon, toujours affamé, ni ses petites soeurs. L'abbé ayant besoin de main-d'oeuvre pour défricher de nouvelles terres, en lisière de la forêt, il avait donc envoyé plusieurs convers ainsi que les jeunes serfs qu'il possédait.
Foulques s'était vu confier une tenure sur cette friche. Mais, même si la terre disposait d'une source, c'était un pauvre sol envahi de racines et de cailloux. Pour payer le loyer exigé, Foulques avait dû travailler dur, sans manger souvent à sa faim.
L'abbé l'avait pourtant aidé, car son intérêt était que les serfs produisent autant que des animaux d'élevage. Des convers étaient donc venus l'épauler afin de construire sa maison, minuscule cabane en bois et torchis, pas différente d'une étable.
Trois ans plus tard, Foulques parvenait enfin à payer le cens et même à économiser quelques pièces de cuivre en vendant les oeufs de ses poules élevées à partir de poussins qu'on lui avait donnés. C'est alors que le régisseur était venu le voir avec le prieur. Ils lui proposaient de se marier.



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EAN
9782081316294
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