Je crois entendre encore...

Ce que je crois entendre encore, ce sont des voix. Les timbres, qui sont le visage vrai des individus. Et les heures à parler, avec chanteurs, pianistes, acteurs: les uns simplement croisés (mais d'une façon qui pour moi a marqué), les autres suivis un bon bout de chemin. Jeune étudiant, c'étaient Jouvet dans son bureau de l'Athénée, Gérard Philipe dans Les Épiphanies, Chauviré dansant Mirages. Suivront Rubinstein, Silvia Monfort, Schwarzkopf, Carlos Kleiber. Tous vivent en moi avec le détail de la rencontre, l'émotion intacte, il me semble qu'il n'y a qu'à les rapporter pour ceux qui ne les ont pas connus. Dirais-je que je le leur dois? Même la rencontre la plus brève (avec Callas, Karajan) montre d'eux quelque chose de proche et de rare, qu'on ne sait pas assez. Instantanés d'une mémoire reconnaissante, comme un disque qui ne cessera plus de tourner.

André Tubeuf passe un peu pour la mémoire d'un monde musical qu'il pratique depuis soixante ans déjà, tendant l'oreille, observant, continuant à enseigner la philosophie hors Paris, hors chapelles. La masse de ce qu'il rapportait a donné matière, homme rare, à L'Offrande musicale dans la collection «Bouquins». Suivait tout naturellement, en 2012, le Dictionnaire amoureux de la musique. Ce nouveau livre rassemble et raconte ses rencontres. Portraits sur le vif, pas posés, de ceux que nous aimerions tous avoir vus de plus près.

Né à Smyrne en 1930, normalien Ulm, agrégé de philosophie, André Tubeuf l'a enseignée trente-cinq ans en khâgne. Le reste du temps, il apprenait, en l'écoutant, la musique que l'éloignement, la guerre, d'autres études ensuite l'avaient empêché d'apprendre comme tout le monde. Le meilleur de ses innombrables chroniques dans la presse française, Le Point, Diapason puis Classica, et à la radio a été réuni en Offrande musicale (Laffont, coll. «Bouquins», 2007). Il a publié le Dictionnaire amoureux de la musique (Pion, 2012).