L'art de la Renaissance

Legrand Gérard

LAROUSSE

Extrait de l'introduction

Nous disons «l'art du XVIIIe siècle» en fonction d'une chronologie fixe; «l'art du Moyen Âge» en relation avec une période plus floue, plus vaste, dénommée après coup. Nous disons «l'art baroque» par référence à des polémiques non encore tout à fait éteintes. Parler de l'art de la Renaissance, c'est d'abord parler du phénomène culturel plus ample qu'a été la Renaissance. Plus personne ne croit aujourd'hui que le Moyen Âge ait été une époque uniforme de ténèbres, à laquelle aurait succédé la radieuse aurore de la Renaissance. Mais à cette tendance a succédé naguère une exagération contraire, d'aucuns disant que la Renaissance n'était en réalité que le «déclin du Moyen Âge». Dans ses diverses expressions, la Renaissance apparaissait comme une vallée incertaine entre les majestueux édifices de la scolastique médiévale, sinon de la féodalité, et du «rationalisme cartésien». Cela, qui s'appliquait surtout au progrès scientifique, concernait aussi bien (ou plutôt aussi mal) l'art. À cette dépréciation positiviste de la Renaissance, est venue s'en ajouter une autre, d'origine puritaine, flagrante chez les peintres nazaréens ou préraphaélites, et chez un critique aussi vanté que l'Anglais John Ruskin. La Renaissance est un phénomène global de l'histoire de la pensée et des pratiques. C'est-à-dire que ses manifestations se recoupent et s'imbriquent, et que ses acteurs ont consciemment favorisé cette intégration: le nombre d'artistes dont nous verrons qu'ils furent aussi écrivains, ingénieurs, savants, le nombre d'artistes qui pratiquèrent à la fois peinture, sculpture, architecture, fourniraient de longues listes.
C'est aussi un phénomène d'auto-affirmation. Non point parce que, un jour, une poignée d'esprits audacieux aurait décidé de créer ou de «lancer» la Renaissance, ou parce qu'une école de bâtisseurs aurait annoncé le retour aux ordres antiques. Mais la Renaissance a très vite pris conscience d'elle-même comme d'une époque révolutionnaire: on a même pu soutenir (André Chastel) que c'était la seule époque de l'histoire de l'art qui ait eu à ce point le sentiment de sa réalité, de ses possibilités, de son «désir d'être».
Les témoignages abondent: celui des artistes est plus discret que celui des écrivains, mais ils vivent en communauté d'intentions. C'est, vers 1455, le lettré Aenea Sylvio Piccolomini (pape, de 1458 à 1464, sous le nom de Pie II) qui affirme: «Avec Pétrarque, les lettres ressuscitèrent; avec Giotto, la main des peintres resurgit; nous avons vu l'un et l'autre art parvenir à la perfection.» C'est le prudent Érasme qui évoque, après Marsile Ficin, un nouvel âge d'or: «Quel siècle je vois s'ouvrir devant moi! Comme je voudrais rajeunir!» Et Durer (qui interpelle Érasme rudement pour d'autres motifs) dira toujours que ses séjours à Venise, à l'orée d'un monde en train de changer, furent les moments les plus heureux de sa vie.
Il n'est pas jusqu'aux termes mêmes de rénovation, de «restitution» (Rabelais), de renaissance enfin, qui ne soient assez couramment employés à l'époque. Particularité qui justifie à elle seule que l'on parle de la Renaissance autrement que comme d'une illusion: si mythe il y a eu, ce fut un mythe fondateur, en pleine vie. D'où l'évidente volonté d'être à soi-même exemplaire. Cette auto-affirmation explique que les chroniqueurs, parlant d'un artiste, lui prêtent quelquefois des qualités héroïques, à l'instar de la virtù (mot italien intraduisible) qui caractérise les hommes d'État. Une excellence analogue s'exprime par le mot de «divin» (appliqué à certains artistes dès avant Michel-Ange). Même sans tomber dans l'emphase psychologique, l'impression que donnent ces hommes, à la virtuosité plurivalente, est unique: «Leur gloire s'étend dans les domaines de la sculpture, de l'architecture, de la poésie, jusque dans celui de la science. Tous les modes d'expression tentèrent leur génie [...]

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EAN
9782035876379
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