La mer expliquée aux terriens

Le Carrer Olivier

GLENAT

On me dit qu'il y a des gens qui n'entendent rien à la mer. J'ai du mal à le croire, mais je ne peux pas les blâmer. Après tout, cela ne fait guère plus de cinq siècles que l'homme a triomphé du mythique cap Bojador, ce point redouté de la côte occidentale de l'Afrique au-delà duquel les pires ennuis guettaient l'honnête explorateur: flots en ébullition, monstres marins innombrables et terriblement agressifs, et pour finir chute inéluctable dans un néant totalement dépourvu - et pour cause - de toute humanité.Les voyageurs ont appris depuis à rejoindre les Indes par toutes sortes de routes maritimes, à bord de bateaux munis de GPS (pour tenir le néant à distance) et de réfrigérateurs (pour se prémunir contre les hautes températures des mers du Sud et conserver la bière au frais), mais l'image légendaire de l'océan des Ténèbres, source inépuisable de frayeurs, n'a jamais vraiment disparu.Et puis sans doute certains habitent-ils trop loin du rivage pour se sentir concernés. À moins qu'ils ne jugent rédhibitoires les désagréments d'origine maritime. Parce qu'évidemment il y en a; ce serait trop simple si le littoral se résumait aux paysages superbes, au sable chaud et aux bienfaits de la thalassothérapie. On peut aussi avoir quelques bonnes raisons de s'en méfier.On aimerait à ce titre connaître l'avis de Noé, premier humain notoire à avoir troqué une existence de paisible agriculteur contre un statut de marin à plein temps avant de revenir pour de bon à la terre. Malheureusement, si la Bible s'est montrée prolixe sur certains détails de son aventure (l'architecture de l'embarcation notamment: «Trois cents coudées pour la longueur de l'arche, cinquante coudées pour sa largeur, trente coudées pour sa hauteur», le tout avec trois étages et une entrée sur le côté), elle ne dit rien des réflexions de nos apprentis navigateurs sur leur nouvelle vie. Et passe sous silence une question cruciale: une fois rendus à leurs boueux pâturages, ont-ils regretté l'heureux temps où ils pratiquaient la croisière?De toutes façons, que l'on souhaite ou non la fréquenter, il serait totalement déraisonnable de ne pas regarder de temps en temps vers la mer: le climat nous vient d'elle pour l'essentiel; tout comme la plupart des accessoires (cotonnades, écrans plats, cafetières électriques...) sans lesquels nous ne saurions pas comment dépenser notre argent. Accessoires qui auraient beaucoup plus de mal à nous arriver s'il leur fallait emprunter la voie terrestre; vous imaginez des porte-conteneurs géants franchissant les Ardennes ou le Jura? Sans compter que l'urbanisation galopante des espaces ruraux en fera bientôt le seul endroit où l'on pourra encore à peu près respirer.

19,99 €
En rupture de stock
EAN
9782723486903
Image non contractuelle