Loin du monde

Ayreault Sébastien

DIABLE VAUVERT

PréludeOn habitait loin du monde.Tellement loin, me semble-t-il, que le monde lui-même ne savait pas qu'on existait. Sûr qu'on n'allait pas devenir grand-chose en restant là, mais sûr aussi qu'on s'en foutait. Devenir, voilà bien un truc qui te passe au-dessus des étoiles en péchant ton premier poisson-chat. Un poisson-chat pas plus gros que le petit doigt. Je le mis dans mon seau et je me rentrai, fier comme un gardon. Y avait un vieil aquarium vide dans le jardin que je remplis d'eau du robinet. Et mon poisson-chat pas plus gros qu'un petit doigt vécut là une année entière - dans le soleil, sous la pluie, dans le brouillard, sous la glace - avant que je me décide, un beau matin, à le renvoyer à sa rivière. Et toujours pas plus gros qu'un petit doigt. Un petit doigt d'enfant.Un soir, en rentrant de l'école, mon amie Carole trouva son père pendu dans le cabanon. Cabanon en bois qu'il venait juste de finir de construire, puis de recouvrir d'une couche d'huile. Le père Chiron - que tout le monde appelait Chicarré. Je ne sais pas trop jusqu'où la nouvelle de sa mort a couru, en tout cas, sûrement pas jusqu'au monde. Problèmes d'argent, problèmes de couple, les gens racontent un tas d'histoires en rentrant des enterrements.On appelle ça l'existence.1Je suis né en 76, dans un petit bled paumé de l'ouest de la France appelé Maulévrier. Ma mère, Marie, faisait ses huit heures chez Var. Var était imprimeur, éditeur, mais aussi écrivain. Je me souviens bien de sa gueule burinée, de sa clope au coin des lèvres et des demis qu'il descendait tout le long des jours assis au bar en face de l'église. Je ne sais pas trop jusqu'où il était connu, en tout cas, il portait toujours une écharpe rouge. Quant à mon père, Serge, il travaillait chez Plastil, il était mécano. Il ne réparait pas des bagnoles comme les autres, mais des machines à fabriquer des lames de plastique. C'était bizarre. Il partait tôt le matin, à vélo, et revenait sur les coups des 7 heures le soir, et toujours à vélo. Qu'il fasse soleil, qu'il pleuve, ou qu'il neige: à Maulévrier, y avait quatre saisons, une zone industrielle et deux terrains de foot.On vivait dans le bas du village. Dans un de ces nouveaux lotissements, dans une de ces nouvelles rues, celle de La Fontaine, au 19. D'un côté, il y avait les petites maisons HLM - dont la nôtre - et de l'autre, les grandes maisons neuves. Les gens des grandes maisons neuves avaient tendance à partir en vacances dans le Sud, sur la Côte d'Azur. Alors que les autres, ceux des petites maisons HLM, plutôt tendance à rouler vers l'Atlantique, du côté de Saint-Jean-de-Monts; voire carrément tendance à rester chez eux au bord de la piscine gonflable à deux boudins. Ce n'est pas tout: q les gens des grandes maisons neuves avaient aussi tendance à piloter des voitures plates -ou alors des Golf. Les autres, plutôt tendance à conduire des voitures moches - et jamais de Golf, ça, c'est sûr! Et c'est ainsi que je me disais du haut de mes 10 ans, malin comme tout, plus ta maison est neuve, plus ta voiture est plate - ou plus tu as une Golf - et plus tu pars en vacances dans le Sud.(...)

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EAN
9782846264907
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