Film noir

Stefanakis Dimitris - Volkovitch Michel

VIVIANE HAMY

Paris, avril 1939- Le bien existe en nous. Le mal, nous l'inventons par nécessité, ne l'oublie pas, déclara Miguel Tharabon.Puis il se carra dans sa chaise et se tut, fumant sa pipe, son verre de Martell Napoléon à la main, les yeux tournés vers l'Opéra. C'était un après-midi du début avril 1939 au Café de la Paix, devant la place inondée de passants, de voitures et d'autobus. Aux feux de signalisation, les véhicules attendaient le signal du départ, et les piétons traversaient, descendaient les marches du métro en croisant ceux qui montaient. Des nuages lourds annonçaient la pluie ou l'arrivée d'une nouvelle guerre.Tel était du moins l'avis de don Miguel, qui, entre alcool et tabac, prophétisa: «Nous quittons une guerre civile pour entrer dans une guerre mondiale imminente.» Après la prise du pouvoir par Franco, il était une fois de plus exilé à Paris. Il avait passé la frontière en février, alors que tombait la Catalogne. Je lui avais téléphoné quelques jours plus tôt pour solliciter un rendez-vous, qu'il avait accepté aussitôt. Sa voix était claire et juvénile.- Tu es donc le petit-fils de Philippe Thébault?- En effet.- J'ai bien connu ton grand-père.- Je le sais, don Miguel. C'est lui qui m'a parlé de vous. Il vous tenait en haute estime.- C'est réciproque. Un homme exceptionnel. Que devient-il?- Il nous a quittés l'an dernier, hélas.- Il est mort? Mais il était plus jeune que moi!- Il n'était pas très âgé, c'est exact. Mais il pensait avoir bien rempli sa vie.- C'est cela qui compte.Je comprenais, en l'observant, pourquoi mon grand-père le considérait comme le plus bel homme de son temps. J'avais proposé de nous retrouver au Café de la Paix, et tandis qu'il entrait, droit, bien bâti, l'oeil sombre, je pensai: «Un vrai cosmopolite!»Il portait une ample gabardine ceinturée, un feutre noir et une écharpe de soie rouge. A un tel homme on pouvait pardonner une légère boiterie. La façon dont il s'appuyait sur sa canne d'ébène dégageait un charme incontestable. J'aurais parié, tant il semblait à l'aise, qu'il était un habitué des lieux. Il affirma pourtant n'y avoir pas mis les pieds depuis des années.- Pourquoi m'as-tu fait venir ici?- Tout le monde connaît le Café de la Paix, n'est-ce pas?- Qu'est-ce qui te fait croire que je ne connais pas Paris? Ne serait-ce que pendant mes années d'exil...- Vous le connaissez, bien sûr, dis-je, embarrassé, et il sourit.- Je peux t'en raconter, des histoires, sur le Café de la Paix à mon époque... Un autre temps...Et il se lança, comme le font les personnes âgées dès qu'elles trouvent une oreille complaisante. Je guettais une pause pour glisser un mot; pas moyen: je dus attendre qu'il n'ait plus envie de parler. Le garçon apporta les consommations sur un plateau d'argent.- Philippe Thébault, donc... reprit-il enfin.- Oui, j'ai le nom de mon grand-père. Il m'étudia du regard.- Pas seulement le nom.- Vous trouvez que je lui ressemble, vous aussi?- D'autres te l'ont dit?- Que j'ai ses yeux, sa couleur de peau et de cheveux...- Et sans doute un petit quelque chose de plus. Son regard, son sourire. Es-tu comme lui têtu et intransigeant?- On le prétend.- Mais tu es plus maigre.- II avait pris du poids avec l'âge. En fait, je fais une enquête pour une revue et j'aurais besoin de votre aide.- Je t'écoute.

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EAN
9782878585773
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