Franklin D Roosevelt

Péréon Yves-Marie

TALLANDIER

Extrait de l'introduction Sur un cliché saisissant pris à Téhéran à la fin de 1943, Franklin Delano Roosevelt est entouré de Staline à sa droite et Churchill à sa gauche. Il est assis dans un fauteuil légèrement plus élevé que ceux de ses deux comparses en uniforme. Devant l'objectif, le dictateur soviétique fronce les sourcils et croise les doigts d'un air un peu emprunté; le Premier ministre britannique, maussade, se tasse sur son siège. Jambes croisées, buste droit, le président américain a le port altier d'un imperator - qui devinerait que ce César en costume sombre et cravate à pois n'a pas marché depuis plus de vingt ans? Comme à Téhéran, Roosevelt occupe une place centrale dans l'histoire du XXe siècle: les fonctions qui sont les siennes ne sont pas plus éminentes que celles d'autres grandes figures, présidents, dictateurs, monarques ou chefs de gouvernement, mais il les exerce au moment où son pays devient la première puissance mondiale. S'il n'est pas l'unique pilote de cette traversée, c'est lui qui tient la barre dans les passes les plus difficiles. Sur la scène intérieure, son rôle n'est pas moins important: il est l'artisan de réformes durables et modifie radicalement l'exercice du pouvoir exécutif; sa présidence demeure une référence pour ses successeurs, républicains aussi bien que démocrates. Son rayonnement dépasse les frontières de l'espace et du temps: la crise économique mondiale que nous vivons depuis 2008 nous laisse dans un désarroi comparable à celui de la génération de l'entre-deux-guerres. La presse américaine compare la «Grande Récession» contemporaine à la «Grande Dépression» des années 1930; elle mesure les «cent jours» d'Obama à l'aune de ceux de son illustre prédécesseur. En France même, l'esprit du New Deal - comme celui du plan Marshall, en d'autres circonstances - est invoqué à temps et à contretemps; on aimerait faire parler le fantôme de Roosevelt pour trouver des remèdes à nos maux d'aujourd'hui - «les grands travaux», «la mise au pas de la finance», «l'aide d'urgence aux chômeurs». Quinze ans après sa mort, Roosevelt est déjà un personnage de théâtre et de cinéma: Sunrise at Campobello, la pièce de Dore Schary qui met en scène sa maladie et son retour en politique, est un immense succès populaire avant d'être portée à l'écran. Pourtant, derrière les stéréotypes véhiculés par Broadway et Hollywood, l'homme reste une énigme: patricien traité de populiste par ses pairs, promoteur d'un New Deal dont on se demande encore s'il a vraiment mis fin à la crise, président de guerre ayant exigé la capitulation sans conditions de l'Allemagne mais soupçonné de s'être tu à propos de la Shoah, leader du monde libre accusé de complaisance envers Staline à Yalta - paradoxes et controverses ne manquent pas. Aux yeux des Français, il n'est pas seulement l'ingénieur des réformes sociales et le stratège de la grande coalition contre Hitler, mais encore le protagoniste d'une querelle mesquine et mal avisée contre le héros national, Charles de Gaulle - la mémoire de son partenaire Winston Churchill, parfois plus véhément contre le chef de la France libre, n'est pas ainsi ternie. Dans ce que nous aimons, par amour-propre national, appeler un «duel», les facteurs personnels ne doivent pas être négligés - bien des faiblesses de Roosevelt, en effet, se manifestent à cette occasion; ne serait-ce qu'à ce titre, il est bon de s'y arrêter. Mais l'antagonisme entre les deux hommes révèle aussi l'évolution des rapports de force entre nos deux pays. Recevant dans Paris libéré Harry Hopkins, très proche collaborateur du président américain, de Gaulle l'interroge sur «la cause de l'état fâcheux de [leurs] relations»: Cette cause, me répondit-il, c'est avant tout la déception stupéfaite que nous a infligée la France quand nous la vîmes, en 1940, s'effondrer dans le désastre, puis dans la capitulation. L'idée que, de tout temps, nous nous étions faite de sa valeur et de son énergie fut bouleversée en un instant. [...] Jugeant que la France n'était plus ce qu'elle avait été, nous ne pouvions avoir foi en elle pour tenir un des grands rôles. La défaite de la France, aux yeux de Roosevelt, n'est pas moins «étrange» que pour ses contemporains d'outre-Atlantique; elle compte pour beaucoup dans sa décision de briguer un exceptionnel troisième mandat, et dans celle de ses concitoyens de lui renouveler leur confiance.

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9782847347340
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