Louise

Gouazé Julie

LEO SCHEER







Extrait

Juin 1995. Lyon. Dans quelques semaines, Louise aura 18 ans. Ce week-end est le dernier avant l'épreuve de philo. Son amoureux s'appelle Marc. Louise a des parents, Marie et Roger, et une soeur. Plus âgée, Alice est partie il y a des années faire sa vie ailleurs. Son départ, Louise s'en souvient encore. De la déchirure. De la solitude. Du coeur qui se serre. Et du silence qui s'abat sur la maison. Qu'il est assourdissant, ce silence. Elle met les mains sur ses oreilles pour ne pas l'entendre. Avant, Louise s'endormait bercée par les 45 tours d'Alice. Le son arrivait dans la chambre mais la chaîne était dans le salon. Il fallait aller les retourner tout le temps. Entre les disques d'Alice et ceux de ses parents, Louise s'est forgé une culture musicale qui ne ressemble pas à celle de ses copains. À l'époque, elle se serait damnée pour avoir un vinyle de Jeanne Mas et elle chérissait par-dessus tout sa cassette Les Hits des années 80. A la maison, pourtant, selon l'heure de la journée, elle allait de Brassens à Angelo Branduardi en passant par Ferrât, Maxime Le Forestier, Ogeret, les Clash, Marie-Paule Belle, Bobby Lapointe, Serge Reggiani, Renaud, Charlebois... Brel était considéré comme misogyne et Serge Lama n'avait pas droit de cité. Guy Bedos avait la cote. Raymond Devos était adulé. Et Zouc, avec sa robe noire et sa gueule de travers, tirait encore des larmes. Louise ne supportait pas de s'entendre dire qu'elle était un peu comme une fille unique. Quatorze ans d'écart, c'est comme si elle avait eu une deuxième maman. Non ! Louise a une soeur. Une soeur chérie. Adorée. Imitée. En fouillant bien dans sa mémoire, Louise pourrait se souvenir d'une soirée dans un restaurant chinois avec Alice et ses copains. Elle avait tellement insisté pour faire partie de l'une des virées nocturnes de sa grande soeur. Alors ça y est, elle est assise là. Il fait nuit. Et c'est le bonheur. Aujourd'hui, les restaurants chinois, elle déteste. Pendant des années, Louise a gardé précieusement un tee-shirt à capuche, avec des rayures bleues, jaunes et roses, parce qu'Alice avait le même. Après le départ de sa soeur, Louise allait faire régulièrement des incursions dans sa chambre inoccupée. C'est là qu'elle a récupéré un vieux pyjama orange en éponge. Des pulls tricotés main. Lorsqu'elle ouvre la porte de la chambre, la vie est partie. Reste encore un peu l'odeur d'Alice. Alors Louise ferme les yeux. Elle revoit les débuts de soirée d'hiver lorsque la nuit était déjà tombée et que sa soeur travaillait, penchée sur sa table d'architecte, son Rotring à la main. Elle entend encore le grattement de la lame de rasoir sur le calque. Un parfum mélangé de savon, de déodorant et de fumée de cigarette. La seule qui avait le droit de fumer dans sa chambre sans s'attirer des regards noirs, c'était Alice. Tout, pourvu qu'elle rentre. Surtout, qu'elle reste. Encore un peu. Une minute. Toujours. Tout était beau, chez Alice. Tout était parfait. Elle sentait bon. Elle était belle. Elle était drôle. Et comme la vie reprenait lorsque Alice était à la maison ! Quand l'homme qui venait d'entrer dans sa vie était là, c'était beaucoup moins bien. Il la taquinait jusqu'à ce qu'elle pleure. Pour rien. Par jeu.



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EAN
9782756104515
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