Le Lézard noir

Edogawa Ranpo

PICQUIER







Revue de presse

Le Lézard noir est sans doute le roman policier le plus célèbre d'Edogawa Ranpo, et par dérivation, l'enquête la plus renommée d'Akeshi Kogoro. Il a été adapté en film (par Kinji Fukasaku, qui plus est), en pièce de théâtre (par Yukio Mishima, qui plus est), et a donné son nom à une maison d'édition (sans doute par un individu prestigieux, qui plus est). Malgré ce statut culte, le roman n'a été traduit en France qu'en 1993 par Picquier (2000 pour le format poche), soit 64 ans après sa parution originale.Madame Midorikawa est une femme fatale, belle, riche et élégante, plus connue sous le nom du Lézard noir, une cambrioleuse particulièrement virtuose. Seulement, manque à sa collection personnelle le plus gros diamant du monde, l'« étoile égyptienne ». Qu'à cela ne tienne, le Lézard noir va s'en emparer, fût-il pour cela nécessaire de kidnapper la fille du propriétaire actuel du bijou, moyennant par la suite un arrangement à l'amiable. Bonne joueuse, elle envoie plusieurs messages à sa future cible pour la prévenir de son forfait à venir, cible qui décide alors d’engager le détective le plus renommé du Japon, un certain Akechi Kogoro.Vulgairement, et histoire d’effectuer une comparaison qui parle à peu près à tout le monde, c’est Sherlock Holmes contre Arsène Lupin. Vulgairement, j’insiste.Akechi Kogoro est un détective de renom, extrêmement perspicace, qui parvient toujours à démasquer le criminel en se basant sur l’analyse « psychologique » de ce dernier, et à l’aide de preuves « scientifiques » (on reviendra sur ces guillemets). La seule autre aventure où il apparaît dans les œuvres de Ranpo paru en France est Le test psychologique, seconde nouvelle de l’ouvrage La proie et l’ombre.Madame Midorikawa, ou le Lézard noir, est une femme fascinée par l’art, en particulier l’art immuable, intemporel, éternellement beau, ce qui inclus évidemment les diamants, mais pas que. Elle vole dans le but d’enrichir sa collection personnelle, particulièrement fournie.L’histoire, assez courte (environ 150 pages), comme toutes les œuvres de Ranpo parues en France, se focalise sur le duel de ces deux personnages. Contrairement aux romans policiers « classiques », dont l’attrait réside en bonne partie dans la découverte du coupable à la fin du livre, on sait ici dès les premières pages qui est la criminelle. L’intérêt réside donc dans la découverte des stratagèmes que le Lézard noir met en place pour se procurer l’« étoile égyptienne », et dans les moyens qu’utilise Akechi pour les contrecarrer. L’auteur ménage également quelques moments de suspens où, à partir d’une action survenue, le lecteur cherche à comprendre comment celle-ci a été rendue possible, puisqu’elle semble au premier abord irréalisable. Ces énigmes s’inscrivent ainsi dans la pure veine de celles initiées par Edgard Allan Poe (pour beaucoup inventeur du genre) dans des nouvelles comme Double assassinat dans la rue morgue ou La lettre volée. L’un des principaux mystères de l’œuvre, qu’Akechi met rapidement en lumière, est d’ailleurs la reprise d’une des nouvelles de Ranpo, La chaise humaine. Le lecteur assidu de l’auteur pourra être soit enchanté du clin d’œil, soit déçu de n’avoir pu être surpris face à cette énigme qu’il connaissait déjà. On retrouve également la patte de Conan Doyle et de son célèbre personnage, qui résolvait souvent nombre de problèmes à l’aide de réflexions « psychologiques » et « scientifiques » qui, si elles sont passionnantes à suivre dans ces fictions, ne sont en aucun viable dans la réalité, et ne tiendraient pas une seconde face à un vrai tribunal (de toute façon, nos amis détectives vont rarement jusqu’au procès).L’autre gros point fort du roman réside en la relation particulière qu’entretiennent Akechi et madame Midorikawa. Le lecteur pourra être surpris, à la lecture du roman (en tout cas, moi je l’ai été) de voir qu’on a véritablement l’impression d’arriver au plein milieu du récit, à cause du fait que les deux protagonistes semblent être porteurs d’un passé et d’un parcours qui sont là, sous-jacent, mais que l’on ne nous explique pas. Concernant Akechi, cette sensation peut paraître normale, l’auteur ayant écrit d’autres livres dont il est le héros, on comprend que certains éléments puissent nous échapper à son sujet. Pour madame Midorikawa en revanche, on comprend moins, celle-ci fait sa première et sa dernière apparition dans ce roman, et la sensation d’avoir manqué un épisode à son sujet ne sera jamais comblée. Cela n’est pas un problème en soi, c’est peut-être seulement une volonté de l’auteur de signifier que ses personnages ont eu une vie avant cette histoire, et en auront une après, ça n’est d’ailleurs à aucun moment gênant, seulement légèrement déstabilisant, car assez rare. Ces deux personnages donc, que l’on a beaucoup de mal à saisir malgré leur apparente simplicité, se comportent l’un envers l’autre de façon très intéressante, leur relation mêlante rivalité, conscience professionnelle, mais aussi et surtout, amour. Cet aspect n’est presque pas développé, ou du moins pas de façon explicite, mais il est là, et il constitue l’élément le plus captivant du récit, tant ces protagonistes sont à la fois caricaturaux et ambivalents. C’est là toute la force de l’écriture de Ranpo que de suggérer beaucoup, tout écrivant peu.Le Lézard noir est donc à la fois un très bon divertissement, un roman à énigme intelligent, et derrière les lignes, le portrait riche et passionnant d’une histoire d’amour unique, belle et impossible. (Critique de www.manga-news.com)



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EAN
9782877304979
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