Gladys et Vova

Caron Emmanuelle

EDL

Il était deux fois

L'histoire des jumeaux Gladys et Vova, bien avant l'orphelinat, bien avant leur arrivée à Paris et bien avant leur rencontre avec Varvara, les Baldessari et Bao Van Bui, commence à la manière des contes, par un «Il était une fois» dans un pays lointain. Un pays d'hiver, scintillant des reflets du soleil sur la neige, et un pays de printemps, saisi sous le jaillissement émeraude des eaux du dégel.
Ils avaient d'abord été deux bambins à la peau lisse, à la touffe blonde couronnant un visage en triangle, aux lèvres et aux joues très rouges. Ils avaient porté du linge brodé, des petits chaussons à pompons blancs au bout de leurs pieds. Ils avaient agité des hochets de bouleau souple dans leurs mains à peine écloses. Ils avaient bu le même lait, partagé la kacha douce et la prune sucrée. Et en mangeant et en buvant, ils avaient ouvert sur le monde de grands yeux bleus parsemés d'éclats violets. Tous deux vivaient alors chez une vieille femme qui n'était pas leur mère, mais leur grand-mère, dans une maison en bois cachée par des palissades. La mémé était bonne, elle les cajolait et leur souriait de son sourire édenté. Sur son châle, de belles grosses fleurs rouges fleurissaient, qui avaient l'air de sentir bon. C'était aussi simple que ça. Leur maman ne leur manquait pas. Ils connaissaient son nom, ils savaient qu'elle travaillait à la ville. D'elle ils gardaient à peine le souvenir d'un beau visage penché sur le berceau. Chaque semaine, une petite somme parvenait de Moscou, qui suffisait aux besoins de la grand-mère et à ceux des enfants.
Quand ils surent marcher, les jumeaux purent explorer la cour. Ils manifestaient leur joie à la vue du soleil, des nuages. Les fleurs du jardinet embaumaient. Le chat Atchoum leur servait de guide dans les entrelacs des branches des arbres. Tout était occasion d'éclats de rire, de galopades.
Installée sur son tabouret de bois, la babouchka offrait son museau ridé aux rayons qui perçaient les planches du muret de son jardin, et elle était heureuse. Vova et Gladys, eux, couraient après les poules, les chats et les autres enfants du quartier. Leurs petites pattes trottinaient sans relâche. C'était bon et doux. C'était sans fin.
Longtemps, les jumeaux ne se parlèrent qu'entre eux. Par longues voyelles ponctuées de claquements de langue. La salive dégoulinait sur leurs mentons. Ils s'appelaient l'un l'autre, avides de se montrer le monde et ses merveilles.
- Glaaaaliis! Doodaaa!
C'était leur cri de guerre et de ralliement. La mémé comprenait, elle connaissait leurs signes. Longtemps, les jumeaux ne se parlèrent qu'entre eux, et puis, un jour, ils parlèrent russe.

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EAN
9782211211932
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