ANGLE MORT

ASTIER INGRID

FOLIO







Extrait



Mardi 21 juin 2011
14 h 44
Aubervilliers, rue Régine-Gosset

Les armes, c'est comme les femmes, on les aime quand on les touche.
J'y ai touché très tôt - aux armes et aux femmes.
J'ai commencé avec un Colt Détective Spécial.38 à six coups. Avec des plaquettes en acajou sur la crosse. Redoutable petite arme de combat rapproché. Une blonde a suivi de près. Elle était allemande mais cela ne l'empêchait pas de devoir sa blondeur à l'eau oxygénée. J'avais treize ans, elle quatorze. C'est l'avantage des plages espagnoles d'apporter l'Allemagne sur un plateau. Depuis je suis resté fidèle aux deux - aux blondes comme aux armes, même si, arrivé à l'âge de trente ans, je me suis dit O.K., Diego, les brunes existent aussi.
Entre Diego Maradona, Diego Milito et Diego Forlán, j'ai l'impression de porter le prénom d'un footballeur. Finale nette. Droit au but. Je viens de Barcelone et j'ai déménagé autant de fois que le nombre de coups dans le chargeur d'un Beretta 92.
Quinze.
Un jour, j'ai poussé la porte d'une ancienne hacienda à Aubervilliers, un squat de la rue Régine-Gosset, et j'ai décidé qu'avec mon frère Archibaldo, on avait plus le droit de s'installer que les rats. On les a descendus un par un. Depuis, on est devenus des Princes. On terrorise les rats, les rôdeurs et les branleurs. Notre jouet depuis l'enfance, c'est la peur.
Archibaldo, on ne l'appelle jamais comme ça. On a opté pour Archi - c'est suffisant. Et puis, rien de plus fort qu'Archi. Je crois que ça lui plaît, ce raccourci. Les parents ne pensent jamais qu'un prénom se répète à longueur de journée. Archi a toujours été plus dur que moi. Enfant, il refusait de manger des gâteaux. Jamais on n'aurait pu lui faire manger de la crème. Il lui fallait du dur. Des chips et des biscottes. Je crois qu'il était persuadé que s'il avalait du flan, il allait se ramollir. On ne pouvait lui ôter l'idée de la tête ni le ballon des pieds. C'est le meilleur dribbleur que je connaisse. Il a des jambes comme des mitraillettes.
Ce que je préfère, c'est le voir tirer ses cheveux noirs en arrière le matin et les lisser. S'il n'avait pas son air froid et buté, il passerait pour un danseur de tango. Archi est fier, avec un sale caractère, mais c'est mon frère et l'équipier le plus fiable du monde. On a grandi sans argent, et, sans argent, personne ne s'intéresse à ce que tu penses. Personne ne voit que tu es posé dans un coin à juste réclamer non qu'on te considère, mais qu'on te remarque. Pendant des années, on a été les fantômes d'une société qui se passait de nous. Jusqu'à ce que Pedro, notre père, se décide à lui apprendre le respect.
C'est par les armes et les femmes que l'on devient homme.
--Ce texte fait référence à l'édition






Broché
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EAN
9782070462520
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